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tendance primitive, peut-être la fleur d’hiver était-elle l’emblème d’une phase significative de cette vie à peine commencée. Je me promis, à la prochaine occasion, de tâcher de savoir par son ami, le docteur Paul Ivanovitch, ce que j’en devais penser.

Cette occasion se présenta bientôt. Par une magnifique journée du mois de janvier, j’eus la fantaisie d’aller en bateau à Gandria, « où l’hiver, disent les pêcheurs du lac, n’est pas visible. » En effet, avec ses oliviers et ses bois de lauriers, dont les feuilles sonores retentissent sur les flancs de la montagne, Gandria ne semble pas connaître les outrages de la mauvaise saison. Quand on voit un ciel d’azur briller sur ce village couronné de lauriers, on pourrait se croire aux rives de l’Attique ou sur les coteaux fleuris de Parthénope.

Ce fut dans le petit port de ce pittoresque village que je rencontrai le docteur Paul. Il regardait d’un air un peu sceptique les saintes images aux vives couleurs peintes sur les noires cabanes. Il était venu seul, à la prière d’un Tessinois de ses amis, visiter un batelier de Capolago, qui était subitement tombé malade pour avoir fait trop d’honneur au vin piémontais d’Asti. Le docteur Paul, ancien élève de l’université de Dorpat, était un des savans les plus justement célèbres de la Russie méridionale. Plus d’une fois, son oncle maternel, que j’avais connu à Odessa et qui avait été mon médecin, m’avait parlé des grandes espérances qu’il donnait. Cependant le docteur Paul avait renoncé à l’exercice de la médecine pour s’occuper d’un grand ouvrage de physiologie, dans lequel il devait résumer les résultats d’une longue expérience, et défendre, ajoutait-il avec un malin sourire, certains principes plus ou moins orthodoxes ; mais, avant de publier ce livre, il avait voulu consulter les oracles des facultés de l’Occident. À Bruxelles, où il s’était entretenu de ses projets avec les hommes les plus distingués de l’Académie royale de médecine, il avait connu chez le ministre de Russie, qui avait pour lui une grande affection, le vicomte Norbert, dont le père, sénateur belge, demeurait aux environs de Gand. À Ostende, j’avais entendu parler plus d’une fois de son père, le comte Charles-Hubert, qui passe pour un homme éminemment spirituel. Je l’avais même rencontré sur la jetée d’Ostende, où presque toute l’Europe occidentale se donne rendez-vous chaque année au mois d’août et au mois de septembre.

Lorsque le docteur eut écrit son ordonnance, nous nous promenâmes dans les rues montueuses de Gandria, et, tout en admirant l’aspect étrange de ce paysage essentiellement italien, nous ne tardâmes pas à parler de son compagnon de voyage. Il était très disposé à satisfaire ma curiosité, d’abord parce qu’il n’y voyait aucun inconvénient, et ensuite parce que les Slaves de l’est placent la conversation