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malgré ses convictions religieuses, des atteintes du remords. Son beau visage était aussi pâle que la fleur d’hiver dont on aimait à lui donner le nom. Elle vint à moi, quand elle m’aperçut, sans manifester le moindre embarras. Cependant elle me parla de son mari avec plus d’indifférence qu’à l’ordinaire, mais en évitant ces allusions ironiques dont elle avait l’habitude. Elle ajouta qu’il avait été appelé à Milan pour une affaire importante et imprévue, et qu’elle avait profité de cette absence pour aller visiter une de ses amies, religieuse au couvent des dominicaines de Katzis. Elle se disposait donc à partir le lendemain pour Bellinzona et à passer le Bernardino.

Nous sortîmes ensemble de l’église, afin de nous promener sous un cloître bâti à côté du temple de la Madonna, d’où la vue s’étend sur un magnifique paysage. Le mur blanc de ce cloître avait reçu les confidences des pèlerins et des touristes. Tout près de ces mots, écrits probablement par un radical tessinois : Viva la repubblica e la’ libertà ! se trouvaient ces vers français :

Je mets ma confiance,
Vierge, en votre secours ;
Servez-moi de défense,
Prenez soin de mes jours ;
Et quand ma dernière heure
Viendra fixer mon sort,
Obtenez que je meure
De la plus sainte mort.

Ghislaine lut cette strophe d’une voix singulièrement harmonieuse. Elle prononça d’une façon si expressive les mots :

Et quand ma dernière heure
Viendra fixer mon sort,


que je ne pus m’empêcher d’y reconnaître l’accent vibrant d’une âme profondément dégoûtée des agitations de la vie, et qui regarde la mort plutôt comme un ange libérateur que comme un spectre menaçant. Craignant peut-être de me laisser deviner ses impressions, la jeune femme se tourna vivement vers le lac et appela elle-même mon attention sur le spectacle qui s’offrait à nos regards. Un olivier, qui s’élevait d’un petit jardin jusqu’à la hauteur du cloître, nous permettait de l’admirer à notre aise, en nous préservant des rayons du soleil. Les eaux du Lago-Maggiore étaient d’un vert foncé. À notre gauche, les maisons, au lieu de former des rues régulières, s’éparpillaient au bord du lac et dans les vignes, dont les longs rameaux pendaient aux branches des érables. Détournant nos yeux du marécage qui s’est formé à la tête du lac, nous les reposions sur une langue de terre couverte de bois qui s’avance dans les ondes, et dont les