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Le Pérugin était né à Castello della Pieve en 1446. Sa famille était très pauvre. Il fut de bonne heure orphelin. Recueilli et élevé par charité, il connut les atteintes d’une misère qu’il mit une énergie singulière à surmonter. Ses premiers maîtres sont inconnus, mais Rumohr suppose avec beaucoup de vraisemblance qu’il reçut des leçons ou au moins les conseils de Fiorenzo di Lorenzo[1]. Il se rendit à Florence, et fréquenta l’atelier de Verrocchio, où il connut Léonard de Vinci et Lorenzo di Credi. Il avait toujours devant les yeux, nous dit Vasari, le hideux fantôme de la pauvreté. Il était si misérable, qu’il coucha pendant plusieurs mois sur un coffre de bois. Il travaillait sans répit, « et, pour arriver un jour à vivre à l’aise et en repos, il brava la faim, le froid, la fatigue, les incommodités de tout genre et même la honte. » Le biographe ajoute qu’il mettait toute son espérance dans les biens de la fortune, qu’il aurait été capable de tout pour de l’argent, qu’il ne voulut jamais croire à l’immortalité de l’âme, et que rien ne pouvait vaincre l’obstination de son cerveau de marbre. » Le Pérugin atteignit son but. « Il amassa, nous dit encore Vasari, de grandes richesses ; il bâtit et acheta des maisons à Florence, il acquit une foule de bonnes et solides propriétés à Pérouse et à Castello della Pieve. » Je sais tout ce qu’il faut rabattre des imputations et des opinions passionnées de Vasari. Le reproche d’impiété est dans sa bouche une accusation banale qu’il prodiguait à tous ceux de ses confrères qui n’avaient pas le bonheur de lui plaire. En supposant qu’il ait outre-passé la vérité, que l’impiété du Pérugin n’ait rien eu de violent, il faut cependant bien conclure de sa conduite durant les troubles de Florence, de sa réserve au milieu des événemens qui amenèrent la mort de Savonarole, qu’il était, ainsi que son ami Léonard, d’une indifférence absolue à l’égard des questions religieuses, indifférence qui surprend chez le chef de l’école ombrienne au moment où les intérêts qu’il paraît défendre dans l’art sont en péril, et qui contraste d’une manière pénible avec la conduite que tinrent dans ces mêmes circonstances les Boticelli, les Fra Bartolomeo, les Lorenzo di Credi. Quant à son avarice, elle est moins contestable encore que son impiété. On a cherché à combattre les assertions de Vasari ; on a cité une lettre que le Pérugin écrivit à Isabelle, marquise de Mantoue, en lui envoyant son tableau du Combat de l’amour et de la chasteté, où il dit entre autres choses : « Je me suis appliqué à cet ouvrage avec tout le soin suffisant pour la satisfaction de votre excellence et de mon honneur, que j’ai toujours préféré à tous les avantages. » Et

  1. Le Pérugin passe pour élève de Piero della Francesca ; mais ce peintre devint aveugle en 1434, lorsque le Pérugin n’avait que douze ans.