Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et quand le vent souffle, il les ouvre et les ferme tour à tour avec fracas. Une claie de cannes sauvages, couverte de foin, règne autour de la cabane à la hauteur d’un mètre environ : c’est la couche du cacique et de ses hôtes ; deux pierres noircies placées au milieu de la hutte, à côté du grand siège d’honneur de Pain-au-Lait, servent de foyer. Les demeures des autres Aruaques sont beaucoup plus modestes que celle de leur cacique. Construites au hasard sur la terrasse de San-Antonio, elles ont exactement la forme de grandes ruches d’abeilles ; les parois se composent en général de cannes sauvages entrelacées, et les toits de foin descendent si bas que pour pénétrer dans l’intérieur il faut presque ramper. Une seule cabane se distingue des autres par son style d’architecture, et de loin peut soutenir la comparaison avec les constructions de Rio-Hacha. Lors de mon passage, elle était habitée par deux dames espagnoles, la mère et la fille. Celle-ci, atteinte aux sources mêmes de la vie à la suite d’un chagrin d’amour et condamnée par les médecins, avait cherché un refuge parmi les Indiens, dans la salubre vallée de San-Antonio ; sa mère l’avait suivie pour la soigner et la disputer à la mort. Pendant cinq ans déjà, elle avait réussi à prolonger la vie de sa Conchita, jeune fille douce, gracieuse et fière, que les Aruaques vénéraient comme la déesse de leurs montagnes.

Le pueblo de San-Antonio est situé à 2,000 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, au pied d’une montagne flanquée du sommet à la base de plateaux étages l’un au-dessus de l’autre, comme les marches d’une gigantesque pyramide, et offrant à cause de cette disposition un avantage inappréciable aux agriculteurs qui voudront s’y établir. Au-dessous du village coule le rapide torrent de San-Antonio ; la vallée, qui porte le même nom, se compose de bassins arrondis, séparés l’un de l’autre par d’étroits défilés : chacun de ces bassins, rempli d’une couche épaisse d’humus qu’y ont déposée les eaux du lac qui le remplissait autrefois, semble fait pour recevoir un village, et n’attend que la hache et la charrue pour être transformé en champs de la plus incomparable fécondité. De même le Rio-Chiruà, qui se déverse dans le San-Antonio à une petite distance en aval du pueblo, parcourt de vastes prairies naturelles où les arbres s’élèvent par groupes assez nombreux pour les besoins des futurs colons, mais assez clair-semés pour n’être pas un obstacle au défrichement. Partout les vallées et les montagnes offrent les terrains les plus favorables à la culture, excepté vers le nord, où le Cerro-Plateado (Mont-Argenté) dresse ses escarpemens abrupts de schistes toujours humides et luisans comme le métal. Pour nous fixer dans quelque vallon de cette heureuse contrée, il ne nous restait que l’embarras du choix.

Le surlendemain de mon arrivée à San-Antonio, je m’acheminais