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l’influence de son maître et avant de se posséder complètement lui-même. Dans la belle fresque de San-Severo, à Pérouse, qui est datée de cette même année, Raphaël se montre en effet débarrassé de toute préoccupation ombrienne. Cet ouvrage a d’autant plus d’intérêt que c’est la première peinture murale qu’exécuta le jeune maître d’Urbin, et qu’on y reconnaît les germes de la composition qu’il développa plus tard dans la Dispute du Saint-Sacrement.

Avant de commencer l’étude des œuvres principales qui caractérisent la manière florentine de Raphaël, je voudrais faire quelques réserves à l’égard d’une classification qui est commode et dans une certaine mesure naturelle, mais qui est loin d’avoir l’exactitude rigoureuse qu’on lui prête généralement. Nous avons déjà vu Raphaël se devancer lui-même dans le petit Saint George, où il nous paraît impossible de trouver aucune trace du style du Pérugin ; nous le verrons revenir au dessin sec et pauvre de son maître dans quelques parties de son admirable Mise au Tombeau du palais Borghèse. Plus tard encore, dans la Dispute du Saint-Sacrement, n’a-t-il pas été manifestement influencé par le souvenir des mosaïques anciennes et par les exemples des maîtres primitifs ? Malgré ces hésitations et ces retours, on peut dire que le développement de Raphaël a été, plus que celui d’aucun autre artiste de son temps, logique, régulier, ou plutôt nécessaire et naturel. Génie plus intelligent que créateur, il se transforme sans parti-pris, à mesure que l’âge et les circonstances modifient ses impressions. Tout jeune, à Pérouse, il suit docilement l’exemple de son maître ; à Florence, il voit les œuvres des peintres de l’école toscane, il vit dans un milieu nouveau et se laisse pénétrer par de nouvelles influences. Plus tard, à Rome, au milieu des monumens de l’art antique, chargé d’exécuter de vastes ouvrages concurremment avec Michel-Ange, sa manière s’agrandira, son style prendra plus d’ampleur, et il trouvera ces types où la grâce, trait distinctif et persistant de son génie, s’unit à tant de grandeur et de majesté ; mais ces évolutions de son talent ne présentent pas de changemens systématiques et raisonnes. C’est un arbre qui suit sa croissance naturelle, et qui, d’abord plante aux feuilles molles et aux formes indécises, devient une tige flexible, élégante et gracieuse, puis un tronc robuste et élevé. Il étudia Fra Bartolomeo, Mantegna, Michel-Ange et Léonard de Vinci, la nature et l’antiquité, et sut toujours rester Raphaël. Son esprit était un merveilleux creuset où les doctrines les plus diverses venaient se combiner et se fondre pour en sortir œuvres parfaites et ornées de beautés qui jusque-là ne s’étaient jamais trouvées réunies. Ces œuvres n’entraînent, ne subjuguent ni ne passionnent comme celles de Michel-Ange, elles n’attachent ni ne séduisent comme celles de Léonard, mais elles pénètrent doucement l’âme, et l’impression qu’on en reçoit,