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surtout qui marche en reculant, et qui succombe à la fois sous le fardeau et sous la douleur, les efforts et la fatigue se trahissent sans affaiblir l’impression de beauté que toute œuvre d’art doit produire, et le corps affaissé de la Vierge évanouie, les expressions déchirantes de la Madeleine et de saint Jean, n’altèrent pas l’ensemble harmonieux de cette belle composition. Une particularité bien remarquable du talent de Raphaël, c’est que son individualité, déjà si accusée sous quelques rapports dans ses tableaux florentins, n’arriva que tard à son développement complet. Déjà maître, et maître consommé, par ce qui tient au goût, au sentiment, aux expressions, au caractère des figures, il emprunte cependant très souvent à d’autres le plan, l’ordonnance générale de ses compositions. L’inventeur fécond et ingénieux des décorations des Stanze, des Loges, de la Farnésine, reste timide et incertain pendant la période qui nous occupe, et ne se montre guère créateur que dans l’heureuse transformation qu’il fait subir aux sujets qu’il s’approprie. La Descente au Tombeau du palais Borghèse est en effet la reproduction presque textuelle d’une gravure bien connue d’André Mantegna. La Vierge au baldaquin et celle de la casa Tempi au musée de Munich rappellent de très près deux compositions de Fra Bartolomeo, et on pourrait multiplier ces exemples. Plus tard même, Raphaël ne s’est fait aucun scrupule de s’inspirer des compositions de ses devanciers ou de ses rivaux, notamment dans son Adam et Eve des Loges, dont la donnée première a été empruntée à une composition de la chapelle de Masaccio à Florence, dans son Isaïe de San-Agostino, et dans les Sibylles de la Pace, où il est impossible de méconnaître, sinon l’imitation, du moins la préoccupation très évidente des peintures de la Sixtine.

Dès son séjour à Florence du reste, Raphaël avait subi l’influence de Michel-Ange, et il faudrait s’étonner qu’il en eût été autrement. Il avait étudié, avec tous les jeunes artistes de son temps, le carton du grand maître, lorsqu’il fut exposé en 1506. Avant cette époque, il avait dû voir la Vierge de la Tribune de Florence chez Agnolo Doni, ce riche et avare amateur pour qui Michel-Ange avait fait ce tableau, en l’accompagnant d’une verte leçon, et Raphaël était certainement en relations avec lui, puisqu’il avait fait en 1504 ou 1505 son portrait et celui de sa femme, deux de ses beaux ouvrages conservés dans la galerie Pitti. On peut suivre les traces des efforts qu’il fit pour agrandir sa manière de composer et affermir son dessin dans la plupart de ses tableaux florentins. On le voit quitter peu à peu les dispositions symétriques et en bas-relief dont ne sortaient guère les maîtres de l’école d’Ombrie, essayer avec timidité et peu de succès les raccourcis dans la Vierge de la casa Tempi, puis aborder de plus près le nu, et donner, notamment à ses enfans de la