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répondu : « Et vous, vous allez seul comme le bourreau. » Le mécontentement, l’humeur de Michel-Ange se montrèrent clairement dans la protection qu’il donna, s’il faut en croire Vasari, à Sébastien del Piombo, avec le désir de l’opposer à Raphaël dans la peinture à l’huile et de chevalet, qu’il n’avait lui-même que peu ou point pratiquée, et pour laquelle il témoigna toujours un profond mépris. On est fondé à croire qu’il est l’auteur d’une partie des dessins de la Résurrection de Lazare de la galerie nationale de Londres, que Sébastien fit pour le cardinal de Médicis, qui avait commandé dans le même temps le tableau de la Transfiguration à Raphaël, et on reconnaît également le dessin hardi du peintre de la Sixtine dans le Christ à la Colonne que le Vénitien exécuta dans la chapelle Borghesini à San-Pietro-in-Montorio. Raphaël n’avait rien à craindre de Sébastien, et se doutant de l’intention qui poussait le sculpteur à favoriser son rival, il dit avec beaucoup de bonne humeur et d’esprit : « Je me réjouis de la faveur que me fait Michel-Ange, puisqu’il me prouve par là qu’il me croit digne de lutter contre lui et non contre Sébastien. » Du reste, si quelque chose doit surprendre, c’est que ces deux grands hommes, rivaux dans le même art, dans les faveurs du public et des princes qui les employaient, n’aient jamais cherché à se nuire, et qu’à part quelques vivacités de paroles, qui chez d’autres se seraient sans doute transformées en scandaleux conflits, leurs rapports soient toujours restés parfaitement dignes et honorables. Jamais en effet ils ne se sont laissé entraîner l’un contre l’autre à aucune de ces intrigues, de ces mauvaises jalousies que la diversité et en quelque sorte l’antagonisme de leurs caractères auraient pu si facilement faire éclater.

On a beaucoup exagéré d’ailleurs cette rivalité entre Michel-Ange et Raphaël, comme le démontre entre autres l’anecdote rapportée par Cinelli à propos des fresques de la Pace. Raphaël d’Urbin avait peint pour Agostino Chigi à Santa-Maria-della-Pace quelques prophètes et quelques sybilles sur lesquels il avait reçu un à-compte de 500 écus. Un jour il réclama du caissier d’Agostino le complément de la somme à laquelle il estimait son travail. Le caissier, s’étonnant de cette demande et pensant que la somme déjà payée était suffisante, ne répondit point. « Faites estimer le travail par un expert, dit Raphaël, et vous verrez combien ma réclamation est modérée. » Giulio Borghesi (c’était le nom du caissier) songea tout de suite à Michel-Ange pour cette expertise, et le pria de se rendre à l’église et d’estimer les figures de Raphaël. Peut-être supposait-il que l’amour-propre, la rivalité, la jalousie, porteraient le Florentin à amoindrir le prix de ces peintures. Michel-Ange alla donc, accompagné du caissier, à Santa-Maria-della-Pace, et, comme il contemplait la fresque sans mot dire, Borghesi l’interpella. « Cette tête, répondit Michel-Ange