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la grandeur du style, à la hardiesse et à la liberté du dessin, je l’aurais jugé de Michel-Ange. »

C’est en 1514 que Raphaël exécuta pour Agostino Chigi les Sibylles de la Pace. C’est dans cette année encore qu’il fit pour le même riche banquier le Triomphe de Galatée à la Farnésine, et s’il était besoin de prouver par un nouvel exemple la souplesse de son esprit et la diversité de son génie, il suffirait de rappeler que l’un de ses plus sévères et l’un de ses plus gracieux ouvrages furent faits en même temps. Agostino Chigi aimait passionnément les arts. Originaire de Sienne, où il avait passé la plus grande partie de sa vie, il avait affermé des mines de sel et d’alun qui appartenaient au saint-siège. Ses intérêts commerciaux l’appelaient souvent à Rome, et il finit par s’établir dans cette ville. Il était lié avec les artistes et les hommes les plus illustres de son temps, et il employait son immense fortune de la manière la plus intelligente et la plus généreuse. Il avait fait construire dans le Trastevere, par l’excellent architecte Balthazar Peruzzi, la charmante habitation qu’on appelle la Farnésine. Il avait fait venir de Venise Sébastien del Piombo, qui décora plusieurs parties de ce palais, et demandé à Raphaël, qu’il avait déjà chargé de construire sa chapelle sépulcrale de Santa-Maria-del-Popolo, de décorer la galerie principale de son palais, divisée en plusieurs compartimens. L’Urbinate, sollicité de toutes parts, n’exécuta que le Triomphe de Galatée, et ce ne fut que plusieurs années plus tard qu’il fit les beaux dessins de l’Amour et Psyché d’après la fable d’Apulée, et que ses élèves peignirent sous sa direction le plafond, les voussures et les lunettes de la Loggia de la Farnésine.

On comprend, en voyant ces belles et gracieuses peintures, avec quelle sympathie et quel soin Raphaël avait étudié l’art antique. On sait qu’il s’entourait d’une foule de renseignemens qu’il devait soit à ses savans amis, à Castiglione, au cardinal Bibiena, à l’Arioste, dont il avait fait la connaissance en 1516 et qui lui indiqua, dit-on, le sujet de l’Amour et Psyché, soit à des dessinateurs qu’il avait envoyés en Sicile et jusqu’en Grèce. On trouve à chaque pas dans ses peintures des réminiscences de l’antiquité ; mais si l’étude intelligente qu’il fit des monumens de la Grèce et de Rome fortifia le sentiment déjà si vif qu’il avait de la beauté, ce n’est qu’à la nature particulière de son poétique génie qu’il doit d’avoir revêtu la forme gracieuse, forte, noble et sereine, telle que la concevaient les anciens, d’une pureté ingénue, d’une chasteté qui à ce degré n’appartiennent qu’à lui, et qu’il a toujours mises dans ses plus libres ouvrages. Raphaël avait puisé son idéalisme chez les platoniciens de Florence, et il paraît s’être rendu un compte très précis du but que l’art doit poursuivre. « Il avait coutume de dire, rapporte Zuccaro, que le