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caractère dramatique : le tableau de la Vision d’Ezéchiel, ce trésor de la galerie Pitti, est moins grand que les deux mains ; mais Raphaël a donné à la figure du Père éternel, aux quatre animaux qui symbolisent les évangélistes et aux deux anges qui complètent ce groupe, tant de majestueuse beauté, un caractère si prodigieux, que l’esprit se sent emporté par le tourbillon prophétique dans ces espaces mystérieux où le prêtre chaldéen entendit retentir les paroles menaçantes de Jéhovah.

Parmi toutes les compositions où Raphaël a exprimé les émotions les plus intimes et les plus violentes de l’âme, la plus émouvante, la plus pathétique est certainement le portement de croix du musée de Madrid, connu sous le nom de Spasimo di Sicilia. Ce tableau, exécuté en 1517, était destiné à un monastère de Palerme, où la Vierge était invoquée contre les convulsions. Le navire qui le portait périt corps et biens sur la côte de Gênes. La caisse qui le renfermait fut jetée sur le rivage. La peinture était intacte, ce qui fut regardé comme un miracle. Les Génois ne voulaient pas entendre parler de rendre le chef-d’œuvre, et il fallut l’intervention de Léon X pour le faire restituer au monastère de Palerme. Au commencement du XVIIe siècle, Philippe IV le fit secrètement enlever, et dédommagea le couvent par une rente perpétuelle de 1,000 écus. Apporté à Paris, il fut mis sur toile en 1810, puis rendu à l’Espagne en 1814. Il a beaucoup souffert de tous ces voyages et des restaurations qu’il a subies. Son aspect est désagréable et cuivré, et pourtant ce n’est que sur place que l’on peut juger ce chef-d’œuvre, dont la gravure, cependant passable, qu’on en possède ne donne qu’une idée affaiblie. La forme du tableau, commandée par celle de l’emplacement qu’il devait occuper au-dessus de l’autel, n’est pas favorable. Raphaël a été forcé de développer la scène en hauteur, et il a tourné les difficultés que présentait cette disposition avec le plus rare bonheur. Le funèbre cortège sort de Jérusalem, dont on aperçoit la porte et les murailles sur la droite. Il se déroule sur le devant du tableau et se replie pour monter vers la colline de Golgotha, qui forme le fond d’un admirable paysage. Le porte-drapeau à cheval en marque la tête, et du geste hâte sa marche. Le Christ, tombé sur ses genoux, succombant sous son infâme fardeau, occupe le milieu de la scène. La main gauche s’appuie sur le sol, la droite retient la croix, comme pour protester que, trahi par les forces humaines, il veut cependant accomplir son sacrifice jusqu’au bout. Un bourreau, auquel on reprocherait son caractère théâtral, s’il était possible de s’arrêter à une critique devant un tel chef-d’œuvre, tire la corde qui attache le Christ. En arrière, Simon de Cyrène, admirable de force et de caractère, soulève la croix. La droite du tableau est occupée par les saintes femmes et par les disciples. Ce groupe des