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dit-on, s’acquitter ainsi sans bourse délier. Enfin le grand peintre vivait subjugué par l’amour d’une femme qu’il a rendue célèbre, la belle Trastevérine ; pendant qu’il travaillait à la Galatée, il abandonnait si souvent sa peinture pour aller chez sa maîtresse, qu’Agostino Chigi, désespérant de le fixer autrement, avait installé cette femme à la Farnésine. Il restait indécis entre son ambition, son amour et l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis de Bibiena[1], lorsque la mort l’emporta, après une très courte maladie, le vendredi saint 6 avril 1520, le jour anniversaire de sa naissance. Il avait trente-sept ans.

Vasari attribue la mort de Raphaël à des excès de plaisirs. « Un jour, dit-il, il rentra chez lui avec une forte fièvre, les médecins crurent qu’il s’était refroidi. Il leur cacha les excès qui étaient la cause de sa maladie, de sorte que ceux-ci le saignèrent abondamment et l’affaiblirent, tandis qu’il aurait fallu le fortifier. » L’exactitude de ce désagréable récit paraît heureusement contestable. La longue durée de la liaison de Raphaël avec la Fornarine donne peu de vraisemblance à des désordres du genre de ceux dont parle le biographe. D’ailleurs il semble naturel de penser que la vie de Raphaël, minée par des travaux immenses, par une dépense exagérée des forces de l’intelligence, par de véritables excès de génie, ait pu se briser au premier choc, et les renseignemens communiqués par Missirini à Longhena et publiés par celui-ci donnent sur la mort de Raphaël des détails qui sont empreints d’un cachet de vérité qu’il semble impossible de méconnaître. « Raffaello Sanzio était d’une nature très distinguée et délicate ; sa vie ne tenait qu’à un fil excessivement ténu quant à ce qui regardait son corps, car il était tout esprit, outre que ses forces s’étaient beaucoup amoindries, et qu’il est extraordinaire qu’elles aient pu le soutenir pendant sa courte vie. Étant très affaibli, un jour qu’il se trouvait à la Farnésine, il reçut l’ordre de se rendre sur-le-champ à la cour. Il se mit à courir pour n’être pas en retard. Il arriva en un moment au Vatican, épuisé et tout en transpiration : il s’arrêta dans une grande salle, et pendant qu’il parlait longuement de la fabrique de Saint-Pierre, la sueur se sécha sur son corps, et il fut pris d’un mal subit. Étant rentré chez lui, il fut saisi d’une sorte de fièvre pernicieuse qui l’emporta malheureusement dans la tombe. » Raphaël se sentit mourir. Il ordonna de renvoyer sa maîtresse, à qui il laissa par testament

  1. Le tombeau de Maria Bibiena était, comme celui de Raphaël, dans l’église de la Minerve. Dans son épitaphe, rapportée par Vasari, qui se trouvait au-dessus de celle de Raphaël, et que Carle Maratte fit disparaître pour mettre à sa place le buste du peintre, elle est nommée Sponsa ejus. D’après le texte, elle serait morte avant Raphaël ; mais suivant Pungileoni p. 106, elle lui survécut.