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nous nous demandons à la création de quelles richesses peut contribuer cette énorme quantité de matière ligneuse, ce sera bien autre chose encore. Il n’est pas en effet une industrie qui n’ait besoin de bois, et qui ne fût immédiatement arrêtée si elle s’en trouvait privée. Les chemins de fer seuls ont absorbé rien qu’en traverses 1,800,000 mètres cubes, et en exigent annuellement 180,000 pour leur entretien ; la marine militaire emploie à peu près 80,000 mètres cubes chaque année, et la marine marchande au moins autant ; les constructions civiles en consomment 1,600,000, et nos établissemens métallurgiques environ 7,000,000. Joignez à cela la consommation personnelle pour les besoins domestiques, et vous aurez une idée de l’immense quantité de bois qu’exige un pays comme la France. D’après le procès-verbal de l’enquête sur l’industrie parisienne, faite en 1847 par les soins de la chambre de commerce, la valeur des produits créés par les industries qui employaient le bois comme matière première s’élevait à 101,516,026 francs à Paris seulement ; dans cet immense atelier, la charpenterie occupait le vingtième rang, la carrosserie le seizième, l’industrie du bâtiment le neuvième, l’ébénisterie le huitième. Le nombre des patrons et ouvriers occupés à la manipulation du bois dépassait trente-cinq mille ; il a plus que triplé depuis cette époque.

Pour faire face à cette consommation prodigieuse et toujours croissante, il faudrait que la plus grande partie de nos forêts fussent traitées en futaie, et cependant c’est à peine si le quart de leur étendue totale est soumis à ce régime. Nous savons, il est vrai, qu’il ne peut convenir aux particuliers, incessamment tourmentés par des exigences nouvelles et exposés à toutes les incertitudes du lendemain ; mais au moins devrait-il constituer le traitement normal dans les forêts de l’état et dans celles des communes. Propriétaires immuables, ils n’ont rien à redouter de l’avenir, ils n’ont pas de besoins imprévus à satisfaire, et ne craignent pas de voir leurs biens se morceler entre les mains de leurs héritiers ; ils pourraient donc en toute sécurité, sans se préoccuper du taux de placement de leurs capitaux, rechercher dans l’intérêt de tous la plus grande production possible.

Malheureusement l’administration des forêts, qui dépend chez nous du ministère des finances, a été quelquefois conduite à sacrifier la question culturale à la question financière. Considérée comme un aliment exclusif du budget, au même titre que les postes ou les contributions, la propriété forestière a été soumise à toutes les conditions fiscales des diverses branches du revenu public. On ne lui a pas demandé de fournir les produits les plus considérables et les plus utiles, mais de donner le bénéfice pécuniaire le plus grand, et, en se plaçant ainsi spontanément dans les mêmes conditions que les