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de 1829, et la province géorgienne d’Iméreth, il atteignit Poti, sur la côte orientale de la Mer-Noire, pour rentrer, sur la fin de l’automne, par la Crimée et Constantinople.

Les Lettres sur le Caucase et la Crimée indiquent suffisamment par le titre même qu’il n’y faut point chercher une exploration scientifique, mais la simple excursion d’un touriste, homme d’esprit et de goût. De retour à Saint-Pétersbourg, M. de Gilles s’est empressé de rassembler ses souvenirs, en leur laissant la forme primitive et spontanée sous laquelle il les avait consignés dans son journal de voyage. La narration a conservé la vivacité de l’impression du moment ; toutefois cette forme a produit dans l’exposition des idées et des faits une absence d’ordre et des lacunes regrettables ; le style offre des inégalités qui sont rendues plus apparentes par les incorrections d’une exécution typographique beaucoup trop hâtée. Il est vrai que ce livre a été écrit en pays étranger, loin du foyer de l’atticisme français, et imprimé à Paris, en dehors de la surveillance de l’auteur, qui vit à Saint-Pétersbourg[1].

M. de Gilles excelle à saisir le côté extérieur et plastique des choses ; il décrit avec amour et quelquefois avec bonheur les harmonies de la nature, l’aspect imposant ou triste des ruines, l’effet pittoresque des costumes, le caractère de la beauté humaine chez les diverses races qu’il a eu l’occasion d’observer. Toutefois ses prédilections, ses goûts les plus vifs sont pour les scènes et les attributs de la vie militaire. Les belles armes des montagnards, leurs ruses de guerre, leur mode d’attaque et de défense, l’organisation des régimens de cosaques, groupés en famille autour de leurs stanitsas (villages), leur existence toujours sur le qui-vive, leurs périlleux sekrety (embuscades), leur grave et mélancolique physionomie, leur tenue, qui imite à s’y méprendre celle des Tcherkesses, tels sont les sujets dont il parle le mieux et le plus volontiers. En relations d’amitié et d’hospitalité avec les officiers les plus distingués de l’armée russe, il a puisé dans leurs entretiens une foule de particularités sur la vie intime et les coutumes des montagnards, avec lesquels ils sont journellement en contact.

Tels sont nos guides dans cette étude où nous aurons d’abord à jeter un coup d’œil sur la configuration de l’isthme du Caucase, afin de pouvoir nous rendre compte du système des lignes stratégiques qui le traversent en divers sens. L’armée régulière et irrégulière qui les occupe et qui en a la défense appellera ensuite notre attention, qui, ainsi préparée, pourra se porter plus tard sur les populations

  1. Les Lettres sur le Caucase et la Crimée sont enrichies de vignettes et de gravures dues au crayon élégant et facile de M. Blanchard, et qui témoignent combien cet habile artiste a étudié avec soin le Caucase.