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III

Dans cette revue de l’armée du Caucase, les milices indigènes n’ont pas moins de titres à notre attention que les troupes régulières et les Cosaques, car elles sont nombreuses aujourd’hui, et la Russie a su en tirer une force réelle et un puissant secours contre les autres montagnards. En étudiant la manière dont elle les ploie à son service, nous apprendrons comment elle agit sur les nations asiatiques pour les attirer à elle et les rendre utiles à ses vues après les avoir assujetties.

Au Caucase, le premier acte qui suit l’occupation d’un territoire conquis ou assujetti est l’organisation militaire de tous les habitans en état de porter les armes, et, dans certains cas, la transplantation du reste de la tribu sur des terres où la protection et la surveillance puissent s’exercer facilement. Là un nouvel aoûl s’élève rapidement ; le pays fournit en abondance tous les matériaux nécessaires pour la construction des saklias, simples chaumières tantôt creusées sous le sol, tantôt bâties en terre ou en pierres, recouvertes de branchages et entourées d’une palissade de pieux. Quelquefois cette émigration est imposée comme punition à un aoûl qui s’est révolté, ou qui a été surpris en flagrant délit de connivence avec l’ennemi. Dans la campagne de 1859, l’armée russe, à chaque pas en avant, se grossissait des tribus qui venaient faire leur soumission. Ces populations, pour qui la suprême notion du droit et de la justice se résume dans l’idée de la force, accouraient sous les drapeaux russes avec autant d’empressement qu’elles en auraient montré à se donner à Schamyl, si la fortune eut été de son côté. Lorsque, au mois de juillet 1859, le prince Bariatinsky, de retour d’un voyage à Saint-Pétersbourg, traversa la Tchetchenia et l’Itchkérie pour aller rejoindre les troupes réunies sur la rive gauche du Koïssou, il avait une escorte où, à côté des Cosaques, figuraient cent cinquante miliciens tchetchenses qui peu de jours auparavant avaient les armes à la main. En même temps, presque tous les naïbs de Schamyl, Talghik et Douba dans la grande et la petite Tchetchenia, Oumalatt dans l’Itchkérie, Idill de Védène, le premier mirza (secrétaire) de l’imâm, Abdoul-Kérim, et son ministre intime pour la partie administrative, Schahmandar-Hadji, ainsi que le plus influent des naïbs de la montagne, Kibit-Mahoma, et d’autres non moins puissans, abandonnèrent le drapeau de leur chef pour celui du vainqueur.

Autant que possible, les anciennes circonscriptions territoriales, les formes du gouvernement local et l’autonomie des indigènes sont maintenues. Dans la Kabarda, la Tchetchenia et les parties du Daghestan