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des Kurdes, région déserte où les caravanes courent de grands risques, malgré le tribut que ces nomades prélèvent, qu’elles se dirigent maintenant vers la Perse et l’Asie centrale. Un système douanier largement conçu reporterait bien vite ce commerce dans l’isthme du Caucase. Les routes projetées ou en voie d’exécution permettraient des communications faciles. Dans le Daghestan, des mines de soufre, d’antimoine, d’albâtre et de plomb, d’abondans gisemens de houille ont été découverts il y a quelques mois, et les montagnards se sont empressés de seconder les recherches des ingénieurs chargés de cette exploration, dans la persuasion que la mise en lumière de ces trésors enfouis dans le sein de la terre deviendra pour eux une source de bien-être.

Parmi les travaux d’utilité publique en construction ou en projet, nous citerons la route de Koutaïs dans l’Iméreth jusqu’à Vladikavkaz sur le plateau de la Kabarda, par Oni, Kalaki et Alaghir ; plusieurs chaussées, au nombre desquelles est la section de Douschétie, sur la route militaire de la Géorgie ; le pont en fer établi à Koutaïs, sur le Rion ; la ligne de poteaux télégraphiques, sur le chemin de Tiflis à Barjom, destinée à être continuée par Koutaïs jusqu’à Poti et à la Mer-Noire. Enfin les études pour la construction d’un chemin de fer d’une mer à l’autre touchent à leur fin. Cette voie ferrée pourra être reliée plus tard, par le steppe des Kalmouks nomades, à celle qui doit traverser la Russie méridionale jusqu’à Moscou, où elle rejoindra la voie qui conduit de cette ville à Saint-Pétersbourg.

Certes ce sont là des débuts qui promettent ; mais le programme à remplir est si vaste ! Quelle tâche gigantesque que celle de pacifier le Caucase, d’y implanter la civilisation, et d’en faire désirer les bienfaits à des peuples encore enfans ! On en jugera par le tableau qu’il nous reste à tracer de cette étrange société caucasienne. L’accomplissement d’une œuvre pareille ne peut être que le résultat d’efforts persévérans. La mère-patrie a elle-même bien des pas encore à faire dans la carrière du progrès économique et industriel ; elle est dans l’enfantement pénible d’une grande réforme sociale, l’émancipation des serfs, réforme légitime et morale, et par cela même destinée à triompher et à la transformer. Au milieu de ces préoccupations qui sollicitent toute son attention sur elle-même, le temps n’est pas venu de s’occuper activement de la régénération du Caucase ; l’avenir est encore éloigné sans doute où cette parole, prononcée dans la joie d’un triomphe récent et inachevé, il n’y a plus de Caucase, pourra être répétée par les tsars avec une confiance mieux fondée que celle de Louis XIV disant : Il n’y a plus de Pyrénées.


EDOUARD DULAURIER.