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mettre en pension… Vous m’oublierez ;… vous ne vous inquiéterez plus de moi… Et quand je vous retrouverai grande personne,… vous ne voudrez seulement plus me reconnaître.

— C’est ce qui vous trompe, reprit Maggie de son air le plus grave… Je n’oublie rien, ni personne… Voyez si j’oublie le pauvre Yap (Yap était son chien)… Il a une tumeur au gosier, et on prétend qu’il en mourra…

— Voyons, Maggie, reprit Philip avec un sourire un peu triste, m’accordez-vous autant d’intérêt qu’à Yap ?

— Mais, oui,… tout autant, reprit-elle avec un bon rire.

— Eh bien ! moi, je vous aime beaucoup,… et je ne vous oublierai certainement pas ;… si j’avais une sœur, je la voudrais avec des yeux noirs comme les vôtres.

— Vous trouvez mes yeux jolis ? dit Maggie, qui paraissait fort satisfaite de cet éloge. Sauf son père, elle n’avait encore rencontré personne qui parût remarquer ses yeux… — Pourquoi cela, je vous prie ?

— Je ne sais trop, reprit Philip… Ils ne ressemblent pas à ceux de tout le monde… Ils ont l’air de vouloir parler,… et parler avec bonté. En général, je n’aime pas qu’on me regarde, et quand vous me regardez, vous, cela me fait plaisir.

— On dirait, repartit Maggie après un moment de réflexion, on dirait que je vous plais plus qu’à Tom.

Et cette pensée semblait l’attrister. Puis, cherchant le meilleur moyen de convaincre Philip, que, tout contrefait qu’il fût, elle ne l’en aimait pas moins : — Peut-il vous être agréable, reprit-elle, que je vous embrasse comme j’embrasse Tom ?… Si vous le voulez, je le ferai.

— Oh ! oui ! répliqua Philip avec la même candeur… Personne ne m’embrasse jamais, moi.

Elle se pencha vers lui sans hésiter, lui passa ses bras autour du cou, et du meilleur de son cœur lui donna baisers sur baisers.

— Quand nous nous reverrons plus tard, ajouta-t-elle, je vous embrasserai encore, et vous verrez bien que je ne vous ai pas oublié.


II

Douce et vaine promesse, digne du beau temps où l’Éden était encore habité, où ses portes d’or ne s’étaient pas refermées sur nos premiers parensl Quand Philip et Maggie se revirent, ce fut dans les rues de Saint-Ogg, et ils échangèrent un simple salut de politesse. Maggie revenait de sa pension, où elle avait appris, entre autres choses, que Philip n’avait aucun droit d’espérer d’elle un si tendre gage d’amitié. D’ailleurs le grand procès engagé sous les