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sans quelque parenté avec la Coupe et les Lèvres, et ce qu’il appelle les Illusions de l’Amour se rattache de loin à cette autre comédie charmante faite avec des rêves de jeunes filles. M. Auguste Villiers de l’Isle-Adam est un jeune homme de vingt ans qui s’essaie dans ses Premières Poésies ; il serait difficile de lui demander la maturité de l’inspiration, et en attendant il subit la fascination. Il a, lui aussi, son don Juan, dernier-né de tous les dons Juans, et qui ne serait pas vraisemblablement venu au monde, si l’auteur de Namouna n’avait point un jour lancé ses strophes étincelantes. Alfred de Musset est donc le dieu des vers du moment ; ce merveilleux génie hante l’imagination de ceux qui commencent et même de ceux qui n’en sont plus à leur premier essai, comme M. Louis Bouilhet, l’auteur d’un drame plein de tous les souvenirs romantiques et du poème antique de Melœnis, où se révèle cette habileté de facture devenue moins un indice de la supériorité de l’artiste que le signe du triomphe des procédés matériels de l’art. Le jeune Paulus, le héros de Melœnis, avait déjà reçu de l’auteur un air d’élégante audace qui le faisait ressembler étrangement à quelque Mardoche, à quelque don Paëz déguisé en Romain. Ce qu’il y a de plus distinct et de plus vivant, dirai-je, dans les Poésies que M. Louis Bouilhet vient de recueillir en leur donnant cet autre nom de Festons et Astragales, c’est encore l’esprit d’Alfred de Musset, qui erre dans ces pages, mettant l’ironie dans la sensibilité, prodiguant la fantaisie et reprenant ses vertes apostrophes à Mathurin Régnier. L’esprit du maître est partout, hormis, je pense, dans un morceau final, — les Fossiles, — où se dessine quelque vague conception de la destinée humaine d’une nouveauté douteuse. M. Louis Bouilhet ne se fait pas peut-être une idée bien exacte de la nature et des nuances essentielles de l’art. On le croirait du moins à voir ce qu’il dit du statuaire Pradier, qui, malgré son talent, sera difficilement reconnu dans l’élu

… De cette forte race
Qui peupla le ciel vide et nous tailla des dieux !


Et cette indécision du sens de l’art n’est-elle point en vérité le propre de ceux chez qui la poésie naît moins par une inspiration spontanée et directe que comme une réminiscence ?

C’est la grande difficulté, je ne l’ignore pas, de secouer le joug de toutes les influences, d’avoir son verre, quand il ne serait pas grand, et de boire dans son verre, suivant le mot d’Alfred de Musset lui-même, le poète le plus imité aujourd’hui et le moins fait pour être imité. Cette originalité qui est la vie de la poésie, elle est peut-être à quelque degré dans un livre récent que l’auteur a eu la