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déterminé la fondation, est par elle-même une œuvre un peu artificielle. Comme elle ne se serait point faite toute seule, il n’est pas possible, sous peine de la voir périr assez vite, de l’abandonner à elle-même. La main qui l’a créée est obligée de la soutenir au moins pendant ses premiers pas. Les plus absolus théoriciens ne peuvent demander qu’on se confie exclusivement au laissez-faire et au laissez-passer sur un terrain où la veille rien ne se faisait et rien ne passait. La liberté est comme l’air : c’est la plus vivifiante des nourritures pour les végétations naturelles, que les intempéries mêmes développent et fortifient ; mais une colonie politique est une plante de serre, et ne saurait se passer entièrement des soins coûteux d’une éducation factice. Nulle part donc le problème ne se présente sous des conditions plus compliquées, nulle part il n’est plus difficile à un gouvernement de traverser cet étroit défilé d’économie politique sans toucher Charybde ou Scylla, recueil de trop faire ou celui de ne pas faire assez.

En ce genre d’ailleurs, toutes les formules générales ont le double inconvénient d’être vagues et insuffisantes. Si j’étais réduit cependant à exprimer, en peu de mots quel doit être sur un tel théâtre le rôle d’un gouvernement soucieux, de remplir sa tâche sans usurper sur celle d’autrui, je ne croirais pas être très loin de la vérité en affirmant que son action doit consister principalement à mettre la terre de la colonie nouvelle à la disposition du capital déjà formé dans les sociétés civilisées. Sur la terre et sur le capital eux-mêmes, le gouvernement ne peut exercer aucune action efficace ; mais il peut fendre leurs rapports plus faciles en écartant les obstacles qui les séparent.

Sur la terre elle-même, disons-nous, un gouvernement ne peut rien ou presque rien. Assurément c’est son métier, avant de choisir l’emplacement d’une colonie, de s’enquérir des conditions naturelles du sol, et de ne se fixer que là où elles lui paraissent favorables ; mais une fois ce choix bien ou mal fait, il ne peut plus rien changer à ces conditions mêmes. S’il s’est trompé, d’une terre ingrate il ne fera jamais, ni par force ni par argent, une terre fertile. La culture seule opère parfois, à la longue et péniblement, un tel prodige, et la culture n’est pas le fait d’un gouvernement, qui sera toujours, s’il a la malheureuse idée de s’en mêler, le moins actif, le moins intelligent et le plus dépensier des laboureurs. Un gouvernement ne peut pas davantage appeler le capital sur une terre où il ne lui convient pas de se rendre. Le capital est par essence une force indépendante dont aucun état ne peut disposer à son gré. Issu par une génération spontanée de l’activité humaine, il conserve le caractère indélébile de son origine. C’est la liberté qui l’a enfanté :