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ne saurait perpétuer la vie ; donc un peuple qui méconnaît la rude loi du travail est condamné à périr un jour sous les coups d’un peuple plus intelligent ou plus fort, à moins qu’il ne se régénère en mélangeant son sang avec un sang étranger. Les Tagals ont refoulé les negritos ; ne pourraient-ils pas être refoulés à leur tour ? Heureusement pour eux, il se trouve là une race qui semble chargée du soin de retremper et de repeupler l’Asie : c’est la race chinoise. Nulle part peut-être mieux qu’aux Philippines ne se révèle le grand rôle qu’elle est appelée à jouer dans les destinées de l’extrême Orient. L’immigration des Chinois dans l’archipel est incessante et intarissable ; il en sort une génération de métis dont le nombre et l’influence augmentent progressivement au point de constituer dans les campagnes comme dans les villes toute une nation nouvelle qui ranime à son contact la langueur du vieux sang tagal. Sir John Bowring insiste avec raison sur ce fait providentiel. Avant lui, d’autres voyageurs avaient signalé l’importance de l’immigration chinoise dans l’île de Luçon ; ils avaient décrit ces bienheureux enfans du Céleste-Empire s’accommodant là comme s’ils étaient chez eux, ouvrant boutique, prenant femme indienne, faisant le signe de croix et suivant dévotement les processions, pour s’enrichir au plus vite et repartir vers le sol natal, en laissant derrière eux femmes, enfans, chapelets, cierges, et tout le mobilier de leur hypocrite exil. Il y a du vrai dans cette amusante caricature du colon chinois ; mais l’économiste, cherchant la raison et la fin des choses, examine avec attention le singulier phénomène qui se produit sous ses yeux, et il découvre les sérieux effets de ces migrations et de ces mélanges de races. Le sujet mérite qu’on s’y arrête.

Nous avons déjà rappelé qu’à son origine la domination espagnole avait été menacée par les incursions des pirates chinois, et que les immigrans du Céleste-Empire s’étaient à plusieurs reprises révoltés contre les maîtres de Luçon. On tenta donc de modérer, par des taxes d’entrée et de séjour, les arrivages de ces colons qui pouvaient introduire dans l’île de dangereux élémens de désordre. En dépit des mesures restrictives, les Chinois affluèrent à Manille. Aux premiers temps, ils allaient dans l’intérieur, où ils se livraient à la culture ; mais peu à peu ils s’habituèrent à demeurer dans les villes, où, par leur industrie, à force d’économie et de patience, ils parvinrent à accaparer le commerce de détail. C’est l’histoire de toutes les immigrations chinoises dans les diverses colonies européennes de l’Asie, à Singapore, à Java, aussi bien qu’aux Philippines. Aujourd’hui les Chinois occupent la majeure partie des boutiques de Manille ; ils ont dépossédé et ruiné les Tagals, incapables de soutenir une telle concurrence. Une fois maîtres des villes, ils se sont de nouveau répandus dans les campagnes, joignant aux profits