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indigènes, les métis et les Chinois, de la douane, des loteries. Avec ce revenu, la colonie paie toutes ses dépenses, son armée de quinze, mille hommes, composée presque entièrement de troupes tagales, sa marine, qui est peu considérable, les fonctionnaires civils, etc. Il reste environ 6 millions qu’elle verse dans le trésor de la métropole. C’est un bénéfice net qui n’est pas à dédaigner pour l’alignement des budgets espagnols.

Les chiffres statistiques abondent dans la relation de sir John Bowring ; j’aime mieux les y laisser. Les raisonnemens qui les accompagnent et les éclairent sont particulièrement à l’adresse du gouvernement espagnol. Le voyageur a voulu sans doute acquitter par une leçon d’économie politique la dette d’hospitalité qu’il a contractée envers l’administration des Philippines ; venant d’un professeur émérite, inspirée par un sentiment de sincère bienveillance, la leçon mérite de ne pas être perdue. À un point de vue plus général, cette étude sur la colonie espagnole s’appliquerait à la plupart des établissemens que les Européens possèdent en Asie, et elle peut profiter à tous les gouvernemens. Seulement il faut avouer que, sous le rapport pittoresque, elle offre un médiocre attrait. En présence d’une splendide nature qui prête aux descriptions éloquentes, sous ce soleil ardent qui échauffe les imaginations les moins poétique, devant ces forêts vierges, ces montagnes, ces volcans qui font si bien dans un récit de voyage, l’économiste ne songe qu’aux problèmes de la production et de la consommation. Ces richesses spontanées du sol, il ne s’arrête pas à les peindre ; il veut qu’on les exporte. Traverse-t-il un beau pays : il ne tient pas au paysage, il s’aperçoit seulement que la route est détestable, et que les récoltes ne peuvent point passer par là. Il traverse une rivière, le pont s’écroule. Le touriste vulgaire ne manquerait pas de raconter ce tragique accident, et de nous dessiner la charmante ruine de bambou. L’économiste n’est pas si facile : il gourmande l’administration des ponts et chaussées. Et ces fameux combats de coqs que tous les voyageurs ont chantés en prose plus ou moins épique, que j’ai célébrés, moi aussi, je m’en accuse, dans un récit de jeunesse, que deviennent-ils sous la plume austère d’un disciple d’Adam Smith ? Sir John Bowring croirait sans doute déroger en décrivant lui-même cette scène de mœurs tagales. Il traduit une relation empruntée à un auteur espagnol, et quand, après s’être mis en règle avec la curiosité du lecteur, il prend la parole pour son propre compte, c’est pour condamner la passion du jeu et le revenu de 86,326 piastres 25 centièmes qu’elle procure au gouvernement. À quoi bon tous ces coqs destinés à rougir de leur sang le sable de l’arène ? Il vaudrait bien mieux, pour la fortune des Philippines et pour la morale, qu’on les enfermât dans les basses-cours avec des poules ! Sir John Bowring est impitoyable pour la poésie ; n’en usant