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cotonnades. Ce futur Eldorado de richesse matérielle ne vaut pas pour eux le paradis. Ils voudront qu’on leur laisse leurs Indiens au temporel comme au spirituel, et un instinct presque légitime leur conseillera de repousser les réformes. C’est là sans contredit la plus grande difficulté que rencontrera le gouvernement. espagnol dans les voies nouvelles où il paraît désireux d’engager sa politique coloniale. On sait l’influence que le clergé exerce dans la métropole ; cette influence, justifiée par trois siècles de bienfaits, de services rendus aux indigènes, est plus puissante encore aux Philippines.

Cependant le premier pas est fait : on a commencé par lever quelques prohibitions commerciales ; les membres les plus éclairés de l’administration ont déjà exprimé des objections contre les monopoles sur lesquels repose le système fiscal. On observe, non sans jalousie, les progrès accomplis dans les autres colonies asiatiques. Enfin l’expédition récemment entreprise contre la Cochinchine, de concert avec la France, atteste que l’Espagne entend coopérer désormais plus activement aux affaires de l’extrême Orient. La portée politique de cette campagne, faite en commun par la France et par l’Espagne, n’a peut-être point été assez remarquée. Sir John Bowring ne s’explique pas que l’Espagne ait envoyé contre la Cochinchine plusieurs régimens de troupes tagales, et il ne voit dans cet incident qu’une aventure plus ou moins chevaleresque. Il comprend que la France, cherchant à acquérir une possession ou un port dans les mers de Chine, et trouvant presque toutes les places déjà prises, ait dirigé ses regards vers la Cochinchine ; mais il n’aperçoit point l’intérêt qui a pu déterminer l’Espagne, maîtresse des Philippines, à dépenser pour une telle expédition son argent et ses forces. Le désir de venger le meurtre d’un évêque ne lui semble pas un motif suffisant, et dans tous les cas cette ardeur de vengeance serait bien tardive, car depuis trois siècles de nombreux missionnaires espagnols ont subi le martyre en Cochinchine et au Tonkin, sans que l’Espagne ait songé à entreprendre la croisade. Ces observations seraient justes, si la guerre de Cochinchine n’avait été pour le cabinet de Madrid qu’une guerre de religion ; mais n’est-il pas évident qu’en accueillant la proposition de la France, le gouvernement espagnol a été surtout inspiré par une pensée politique ? Il savait que la nation l’approuverait, car depuis quelques années, au bruit d’armes qui a retenti dans toute l’Europe, l’Espagne s’est passionnée pour la guerre ; il savait que la population, l’armée et le clergé des Philippines applaudiraient à une campagne entreprise pour une cause sainte ; il comptait que les drapeaux alliés remporteraient une prompte et éclatante victoire qui satisferait l’orgueil