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n’est pas que M. Opzoomer ait un système ; il a plutôt une méthode. Esprit fin, sagace, artiste aussi bien que penseur, désireux de maintenir à tout prix son indépendance, il a rompu avec la tendance hégélienne, qui était au fond la sienne, lorsque son grand mérite le fit appeler très jeune encore au poste qu’il occupe aujourd’hui. Depuis lors il a substitué à la spéculation à priori une sorte d’empirisme spiritualiste, qui tient d’Auguste Comte par le principe, mais qui est bien supérieur au système du positiviste français par l’étendue et la légitimité des applications. L’observation, la critique, le classement des faits et la détermination de leurs lois, voilà la tâche première de la philosophie telle qu’il la conçoit. Elle doit ainsi se nourrir du suc de toutes les autres sciences ; elle ne sera donc achevée que le jour où toutes les sciences auront apporté leur contingent définitif à la masse des connaissances humaines. Parmi les objets de l’observation, le sentiment religieux et le sentiment moral sont, selon lui, des réalités dont il faut tenir tout autant de compte que des données acquises par les cinq sens, et ce sont là les indestructibles bases sur lesquelles il sera toujours possible de réédifier la doctrine religieuse et morale, lors même que toute notre métaphysique, tout notre idéalisme n’ont pu tenir devant la critique fondée sur l’observation de la réalité. De là un dualisme provisoire que M. Opzoomer croit encore inévitable entre les aspirations du sentiment religieux et moral et les données des sciences expérimentales. Dans ses derniers écrits, M. Opzoomer semble cependant se rapprocher du christianisme, sinon de la doctrine arrêtée qu’on désigne sous ce nom, du moins de l’idéal moral réalisé par le Christ : il y trouve les principes de liberté, l’amour désintéressé de la vérité, en un mot les tendances salutaires auxquelles le penseur doit aussi bien conformer son travail intellectuel que l’homme sa conduite dans le monde. Il est résulté de l’application que ses disciples ont faite de ces principes à la science religieuse, non pas un corps de doctrines, mais une tendance critique et sérieuse qui se fait de plus en plus sentir dans les études théologiques.

À peu près vers le temps où se manifestait le mouvement de retour aux vieux dogmes de l’église réformée, l’on voyait poindre à l’université de Groningue une tendance religieuse qui, d’accord sur certains points avec l’école réactionnaire, était poussée, par un respect beaucoup plus profond des droits de la science, dans une direction très différente. De ce mouvement hétérodoxe, auquel MM. Hofstede de Groot, Pareau et Muurling, professeurs en théologie à l’université dont nous parlons, apportèrent leur contingent avec une rare conformité de vues et de principes (au point de faire des traités théologiques en collaboration), sortit une doctrine bien