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Les raisins de table peuvent être classés en cinq tribus distinctes : les chasselas, les muscats, les spirans, les ulliade, les malvoisies.

C’est avec raison que la première place parmi ces tribus est accordée aux chasselas. Par leur douce saveur, leurs qualités salubres, ces excellens raisins ont mérité la préférence que très généralement on leur accorde, et justifient les efforts des viticulteurs pour les propager dans nos campagnes, soit en espaliers ou contre-espaliers dans des vignobles spéciaux, soit même dans les serres des contrées où le climat n’en permettrait pas la culture en plein air. Le plus renommé parmi les raisins de cette tribu est le chasselas doré, que l’on cultive avec un si grand succès aux environs de Fontainebleau et de Thomery, et qui se récolte ordinairement en septembre[1]. Les diverses boutures de cette variété ont reçu différens noms selon les circonstances locales et la culture, qui ont pu modifier les formes, la couleur, le goût, parfois même changer l’époque de la maturité. Une sous-variété du chasselas doré a reçu le nom de chasselas rouge ; on la récolte à la même époque, en septembre. Ses grains arrondis, que caractérise une inégale coloration rose, ont une saveur sucrée très agréable. On connaît sous la dénomination de chasselas rose[2] une autre variété distincte teintée d’un beau rose ; c’est un des meilleurs chasselas. Cette variété excellente, venue d’Italie, est très productive ; les fruits en sont faciles à conserver par les moyens simples qui s’appliquent à tous les raisins de table.

Dans la tribu des chasselas, on remarque encore plusieurs variétés spéciales : le chasselas coulard[3], ainsi nommé de ce que, vers le moment de la floraison, il est sujet à couler, c’est-à-dire que le pollen de ses fleurs se dissipe, et les phénomènes de la fructification ne peuvent s’accomplir ; plus hâtif d’ailleurs que les autres variétés,

  1. Une anecdote curieuse que je tiens d’un savant ami M. Bérard, doyen de la faculté des sciences de Montpellier semble trancher la question de supériorité entre les raisins de Fontainebleau et ceux du midi. M. Bérard avait reçu chez lui l’un des chimistes les plus illustres de la Grande-Bretagne et lui faisait les honneurs de son riche département en le guidant à travers les immenses vignobles de l’Hérault. Sir Humphry Davy, grand consommateur et appréciateur de nos excellens chasselas de Thomery, dont il ne pouvait se lasser, trouva plus délicieux encore les raisins aromatiques et très sucrés du muscat de Frontignan, qu’il venait de goûter. Il pria M. Bérard d’en prendre une ample provision qui pût lui suffire pendant la durée d’une promenade ; à peine rassuré sur ce point en voyant cueillir une douzaine de ces grappes volumineuses, il ne put cependant achever même la seconde grappe. — Mon cher ami, dit-il à M. Bérard, vous aviez bien raison : ce raisin est exquis, mais je n’en pourrais manger davantage.
  2. Les synonymes suivans désignent en différens lieux cette variété : tokai des jardins, chasselas royal rose, — rose du Pô, Royal-tramontaner des Allemands.
  3. Désigné aussi sous les noms de gros coulard et froc de la Boulaye.