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REVUE DES DEUX MONDES.

sous le gouvernement turc, à plus forte raison devraient-ils préserver ce qui reste encore, si l’autonomie de ce pays était assurée.

JULES FERRETTE.
Damas, 2 juillet 1860.

REVUE LITTÉRAIRE.


THÉÂTRES.


Tout est bouleversé décidément dans le monde littéraire comme dans le monde politique, et nous devons nous attendre à toutes les surprises de l’imprévu. Grâce aux caprices de la nature, qui tient, paraît-il, à ne pas être dépassée par l’homme en irrégularités et en désordres, la saison d’été, qui d’ordinaire est pour les théâtres une morte saison, aura été plus féconde et surtout plus variée que la saison d’hiver. L’arrivée de cet été pluvieux, auquel il faut bien nous soumettre, a été saluée au Gymnase par une comédie d’un jeune auteur qui pourra devenir un auteur dramatique, s’il ne sacrifie pas la vérité au besoin d’amuser, et s’il renonce à prendre l’agitation pour le mouvement. Au Vaudeville, M. Ponsard a tiré, malgré vents et giboulées de tout genre, un feu d’artifice en l’honneur de la fantaisie, feu d’artifice dont les pièces sont un peu mouillées, et qui n’est parti qu’à demi. Les théâtres du boulevard ont fait leur toilette la plus coquette, et nous ont servi d’aussi bons mélodrames que ceux dont l’hiver aime à se faire honneur. Enfin le Théâtre-Français, qui vivait de reprises, ayant cru trop vite sans doute au retour de la belle saison, s’est décidé à donner la première représentation de l’Africain, comédie en quatre actes, de M. Charles Edmond. C’est de cette dernière pièce que nous voudrions dire quelques mots, en attendant que nous acquittions nos dettes envers cette saison dramatique d’été que personne n’espérait, et que tout le monde aurait été heureux d’éviter certainement.

L’Africain est une pièce qui porte l’étiquette de comédie sur le programme des spectacles et sur l’affiche du théâtre. Pourquoi comédie ? La pièce n’a rien de bien gai en vérité, et n’est pas faite précisément pour divertir. On ne peut pas dire d’elle ce que dit dans une de ses étincelantes fantaisies le pauvre Henri Heine : « Madame, cette pièce est une tragédie, bien que le héros n’y soit pas égorgé et qu’il n’y égorge pas. » Ici au contraire le héros égorge, et lorsque le rideau tombe sur ses dernières paroles, on peut prévoir qu’il se fera justice à lui-même en s’égorgeant. Le duel, le suicide, des existences paisibles un moment bouleversées, il n’y a rien de plus gai que cela ! Il est vrai que le duel se passe à la cantonnade, et que le suicide n’est qu’indiqué comme un événement possible ; mais les émotions d’effroi et de pitié qu’inspirent de tels événemens sont créées dans l’esprit du spectateur, et cela suffit pour qu’on ait le droit de refuser à la pièce le titre de comédie. La pièce est bel et bien un gros drame, d’une trame plus solide que délicate, plein d’éclats de voix très motivés, de colères très explicables, de terreurs qui ne prêtent nullement à rire, et abondant en situations fortes et pathétiques bien qu’équivoques. En deux mots, voici le drame ; vous allez voir qu’il n’y a pas là de quoi rire.