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Hermine saisit la main de Jean avec une sorte d’autorité et resta un instant immobile, retenant son souffle. Elle s’attendait à quelque terrible catastrophe ; n’entendant rien que la voix maussade du collégien qu’on réveillait, elle reprit un peu courage.

— Adieu ! dit-elle, et elle s’élança vers la porte. Hermine arriva dans la chambre de sa mère au moment où l’on discutait sur les coups douteux de la partie de boston. Personne ne remarqua son trouble. Mme Louise, Firmin Tranchevent et le collégien se retirèrent. Caroline alluma les bougeoirs ; M. et Mme Tranchevent embrassèrent leurs deux filles, puis Caroline remonta vers sa mansarde et Hermine rentra dans sa chambre.

A peine osa-t-elle regarder autour d’elle, tant elle était certaine de retrouver Jean. Jean n’était plus dans la chambre. Hermine tomba accablée dans un fauteuil ; ses regards se dirigeaient sans cesse vers la fenêtre, restée ouverte. Jean devait être là, il allait revenir. Toutes les heures de la nuit s’écoulèrent dans cette attente. Plusieurs fois Hermine s’approcha de la fenêtre, puis s’en éloigna en rougissant ; Jean l’avait peut-être aperçue : regarder dans le jardin, n’était-ce pas le rappeler ?

Le matin, quand Hermine eut entendu la vieille Jeannette ouvrir les volets de sa cuisine et tirer de l’eau au puits, quand la lumière entra à flots dans sa chambre, elle trouva le courage de jeter un regard vers le grenier : la porte, les fenêtres étaient hermétiquement fermées. Du reste, le paysage était frais, riant comme de coutume ; à peine si les pieds de Jean avaient froissé quelques pampres de vigne. Deux heures plus tard, au milieu de toute sa famille, Hermine disait à Jean un adieu banal. Jean n’échangea même pas un regard avec elle ; Mme Louise Tranchevent ne les quittait pas des yeux.


IV

Pendant cinq mois, Hermine vécut du souvenir de cette dernière nuit. Reverrait-elle Jean ? Jean l’aimait-il ? Elle n’en savait rien. Peut-être ne devait-elle voir dans la conduite de Jean qu’une généreuse pitié, une effervescence de tendresse. Ses projets de mariage prouvaient l’étourderie de son caractère, et rien de plus. Jean maintenant ne songeait probablement plus à elle, et cette pensée agitait douloureusement le cœur d’Hermine ; mais pour rien au monde la jeune fille n’eût voulu retrouver son indifférence d’autrefois. Maintenant son malheur avait un nom, ses rêves un objet, ses désirs un but ; elle ne s’égarait plus dans le vide. Le repos, le bonheur, elle ne les cherchait plus en elle-même ; elle dépendait entièrement d’un autre, elle vivait.

Vers le milieu de décembre, à la grande satisfaction de Mme Tranchevent