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représentées par des témoignages unanimes, constataient que jusqu’en 1832, et même longtemps après, on ne connaissait ni pointe de sable, ni envasemens, ni champs de roseaux, ni aucun des phénomènes qui ont si profondément altéré depuis la physionomie de cette bouche du fleuve. Don Juan me racontait qu’à son arrivée dans ce pays inconnu, vingt-cinq ans auparavant, les navires mouillaient en face de sa maison par un fond de seize à dix-huit pieds, et que, sans remonter si haut, l’escadre anglaise qui avait proclamé la domination mosquite en 1848 avait commodément manœuvré à deux encablures de la ville. J’avais précisément sous les yeux une carte hydrographique de George Peacock, de la marine britannique, qui m’indiquait à la fois les projections successives de la pointe de sable et les derniers sondages de la baie ; il en résultait que les premiers atterrissemens visibles avaient commencé en 1832, et qu’en 1848, malgré le développement rapide de la pointe, la rade entière gardait encore une profondeur moyenne de 8 mètres. Quant à la mobilité excessive de ces élémens vaseux ou arénacés, il suffisait d’un coup de rame ou de pagaye pour s’en convaincre. Mon hôte s’était ouvert, avec une simple dépense de 20 à 25 dollars, un petit canal particulier pour ses bongos à travers la prairie de nénuphars et d’îles flottantes. Tous les ans, la saison des pluies et le retour des hautes eaux déplaçaient ces alluvions d’hier et les détroits qui les séparaient, quand ils ne les entraînaient pas dans leur recrudescence. Un fait d’ailleurs bien inattendu a donné, l’année suivante, la mesure foudroyante de la puissance d’impulsion et de désagrégation du San-Juan, même réduit à son plus mince volume. Au commencement de 1859, la passe se trouvait presque comblée. Tout à coup, en pleine saison sèche et à son plus bas étiage, le fleuve fait un effort, et en deux heures il emporte non-seulement les dernières projections qui gênaient le passage, mais le milieu même du banc de sable avec les bâtimens et le matériel de la compagnie du transit, de sorte que ce promontoire, presque lapidifié par dix-huit ou vingt ans d’existence, qui semblait aussi indestructible que le continent auquel il se rattachait, a été balayé, sans convulsions, par une eau presque dormante, sur une largeur de 250 mètres, une longueur de 200 et une profondeur de 18 pieds. Qu’est-il besoin d’ajouter à une pareille démonstration ?

Pour moi donc, comme pour tous les riverains et les pilotes du San-Juan, comme pour tous les commandans anglais de ces parages que j’ai consultés, la question du dégagement du port de Grey-Town et de ses abords est une question de courant, c’est-à-dire une des plus élémentaires de l’art de l’ingénieur. Cette opinion écarte, il est vrai, les analogies impossibles qu’on voudrait établir au nom de la