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avec des troupes de débarquement, reparut devant Grey-Town, et vingt chaloupes armées de canons s’engagèrent dans le San-Juan pour remonter jusqu’à Grenade. Il fallut livrer plusieurs combats aux Espagnols, qui s’étaient fortifiés le long du fleuve. Le courage de ceux-ci ne put tenir longtemps contre la supériorité des armes anglaises, et tous leurs ouvrages furent détruits ; mais à la première de ces rencontres, au confluent du Sarapiqui, le consul-général anglais, M. Walker, fut renversé de sa pirogue et périt dans les flots, dévoré, dit-on, par un crocodile. Bref, après s’être emparé des forts Castillo et San-Carlos et avoir traversé le lac dans leurs canonnières, les Anglais arrivèrent un matin devant Grenade, où siégeait le gouvernement nicaraguien. La position était critique pour les uns et pour les autres, car si les assaillans étaient en mesure de détruire la ville, ils couraient le risque de se voir fermer le retour par un soulèvement national, comme cela était arrivé en 1780, lors d’une expédition dont Nelson faisait partie. Il en résulta un arrangement sommaire signé dans une des îles Corales, voisines de Grenade, nommée Cuba. Cet arrangement portait en substance que les Mosquites occuperaient provisoirement le port de San-Juan-del-Norte jusqu’à ce que la question de droit fût vidée. Le Nicaragua subissait ainsi le fait de l’invasion, mais revendiquait hautement sa souveraineté. C’est en vertu de ce titre unique que le pavillon mosquite flotte encore aujourd’hui sur la plage de Grey-Town, appelée ainsi par les Anglais du nom de lord Grey, qui gouvernait alors la Jamaïque. Il me paraît difficile de concilier cette convention provisoire, signée cependant sous la menace des canons de l’Angleterre, avec la prétention de ses géographes d’étendre les limites méridionales de la Mosquitie jusqu’au rapide de Machuca, et de donner ainsi au protectorat britannique les trois quarts de la superficie du Nicaragua et une partie de celle de Costa-Rica.

Quoi qu’il en soit, si ces événemens avaient passé complètement inaperçus en Europe, grâce surtout à la révolution de février, il n’en avait pas été de même aux États-Unis. Dans ce milieu ardent, où fermentaient déjà les plus audacieuses cupidités, l’occupation de Grey-Town devait soulever des tempêtes. Cet acte coïncidait d’ailleurs avec d’autres tentatives dans la baie de Fonseca qui semblaient indiquer des vues ultérieures sur l’Amérique centrale. L’opinion américaine se déchaîna contre ces empiétemens de l’Angleterre ; le Nicaragua devint aussitôt l’un des points de mire de l’activité yankee ; le gouvernement fédéral fut obligé de répondre par son attitude et ses dépêches aux susceptibilités nationales, et c’est de ce conflit des deux nations que sortit, en 1850, deux ans après l’invasion mosquite, l’arrangement connu sous le nom de traité Clayton-Bulwer, l’acte