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noir et en toilettes françaises, moins le chapeau, qui est remplacé par un châle ; les habitans de la campagne dans leur simple costume blanc et les pieds nus. Toute la milice formait la haie dans ce même costume, n’ayant pour uniforme que le ceinturon noir de la cartouchière. C’était une occasion unique pour juger du bien-être général, de la beauté des types et de l’élégance naturelle de la race indienne un peu mélangée qui constitue le fond de la nation. Toutes ces femmes des villages voisins, pieds nus comme leurs maris, portaient des jupes blanches, souvent en mousseline, recouvrant plusieurs jupons brodés, et sur la tête un rebozzo, mantille à raies rouges qui retombait et leur enveloppait toute la taille. Rien ne ressemblait moins à nos paysannes empruntées que ces charmantes figures relevées par Une démarche de reine. En écartant le rebozzo, on retrouvait leurs bras nus et la chemisette échancrée qui voilait à peine leur corsage. C’est la toilette de toute fille du peuple. Elle est devenue un type national ; elle a même servi d’effigie à la monnaie costa-ricaine, qui, jusqu’à ces derniers temps, n’a représenté qu’une Indienne décolletée et souriante, de la plus grande beauté de formes.


X. — PINTA-ARENAS.

Je rentrais un soir à Cartago, après une excursion dans les vallées qui sillonnent les larges versans de l’Irazù, lorsqu’on me remit une lettre du ministre des affaires étrangères apportée par un exprès. M. Nazario Toledo m’apprenait deux événemens qui pouvaient renverser toutes mes combinaisons, l’acceptation par le gouvernement de Nicaragua du traité Cass-Irizarri et l’arrivée à San-José du général Jérès et du colonel Negretti, envoyés l’un comme négociateur, l’autre comme médiateur, pour régler une question de limites entre le Nicaragua et Costa-Rica. L’adoption du traité Cass-Irizarri, si elle était positive, ne me permettait plus de compter sur le général Martinez, et elle donnait aux Américains du Nord, si exclusifs dans leurs envahissemens, un protectorat légal qui allait devenir un obstacle permanent à toute intervention européenne, même purement industrielle w[1]. Il en résulta pour moi la nécessité de prendre une attitude politique plus prononcée. L’opinion publique ne tarda

  1. Je sais qu’on a jugé cette convention à un tout autre point de vue, du moins dans les chancelleries. Elle a même servi de modèle, depuis cette époque, à plusieurs traités de commerce, de protection et de navigation conclus avec le Nicaragua. Cela prouve simplement que, dès qu’il s’agit de l’Amérique, les principes vulgaires du droit international ne sont plus de mise. L’article 16 donnait aux États-Unis le droit de débarquer des troupes et d’occuper militairement le pays toutes les fois que la sécurité de leurs nationaux l’exigerait. Chez une nation européenne, un pareil droit serait la négation de sa souveraineté ; au Nicaragua, où presque tous les actes de violence contre les personnes, judiciairement constatés, provenaient des Américains, c’était la consécration légale de l’invasion. Personne à San-José ne l’appréciait autrement, et le ministre de Costa-Rica à Washington, M. Molina, bien placé pour connaître le but réel d’un pareil acte, n’avait point hésité à déclarer à son gouvernement qu’il le considérait comme l’annulation de la neutralité centro-américaine et une menace flagrante pour l’indépendance du pays.