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chemin de fer, traînés chacun par un cheval et pavoisés de petits drapeaux. La traversée de la forêt ressemblait à celle d’un tunnel étroit à parois de feuillages. La mer étincelait à l’orifice. Un air balsamique nous pénétrait, et la chaleur se sentait à peine sous ces voûtes d’ombre. De temps en temps, des coups de fusil tirés en l’air et de grands drapeaux tricolores dressés sur de petites maisons de bois nous faisaient souvenir de la présence d’un gouvernement. Nous entrâmes ainsi à Punta-Arenas, au bruit d’une véritable artillerie, à travers une population en fête, des maisons décorées, des vivat retentissans et tout l’appareil des réceptions officielles. Il y avait onze bâtimens en rade, pavoisés de leurs couleurs, et qui répondaient à coups de canon au salut des canons du port. Le chemin de fer traversait la ville dans toute sa longueur ; il nous déposa au bout de la grande rue, sur le bord du golfe, devant une maison à deux galeries superposées, au milieu d’une foule dont l’affection, plus encore que le respect, acclamait le visiteur attendu.

Punta-Arenas, comme son nom l’indique, est bâtie sur une pointe de sable pénétrant dans la baie de Nicoya comme une large jetée, en dessinant au nord un port intérieur qui porte le nom générique d’estero. Cet estero n’est accessible qu’à marée haute et seulement pour les bâtimens tirant moins de douze pieds. Les grands navires mouillent à deux milles en mer, au grand dommage des transbordemens, qui ne se font ni sans peine ni sans danger. C’est l’inconvénient radical de toute la côte depuis Panama jusqu’à Realejo, la baie de Salinas exceptée ; mais c’est surtout l’inconvénient du bassin resserré de Nicoya, dont les eaux sont toujours agitées. Punta-Arenas est de plus menacée d’un ensablement continu par deux rivières torrentielles débouchant dans son estero, et la baie elle-même paraît s’envaser sous l’influence de la même cause combinée avec la violence exceptionnelle de la marée montante. Ce serait donc trop présumer de l’avenir que de prédire à cette ville improvisée de brillantes destinées. La salubrité qu’elle tire de ses sables a été le point de départ de sa rapide fortune. Il fallait une station sur le Pacifique au commerce naissant de Costa-Rica. Le petit port de Caldera, à quelques lieues au sud, dont les navires préféraient le mouillage, venait d’être abandonné en 1840 à cause de ses fièvres ; la population reflua vers Punta-Arenas. La production du café y appelait, dix ans après, cent cinquante navires de toute provenance, et cette création artificielle du génie commercial est aujourd’hui une ville pittoresque et vivante de deux ou trois mille âmes, dont les maisons de bois sont séparées par des jardins où la nature tropicale déploie toutes ses magnificences, où l’Angleterre, les États-Unis et Hambourg ont des agens consulaires, et qui passe pour le plus