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et par places un peu d’herbe entre les pavés. Les constructions sont d’un autre siècle ; on les renouvelle peu, et les paysagistes qui exploitent les vallons de la Normandie n’ont garde de s’en plaindre.

Malgré la réalité de cette décadence, le mouvement maritime n’a point diminué dans les bassins d’Honfleur : il s’est même accru par la substitution des matières encombrantes aux marchandises précieuses ; mais d’une part le pavillon du port, qui prenait autrefois son essor vers les contrées équinoxiales et l’Amérique du Nord, ne se montre plus que dans une aire étroite ; de l’autre, ses marins, qui allaient, il y a cent ans, chercher au loin les produits exotiques, laissent aujourd’hui à la marine étrangère presque tout l’approvisionnement des bassins. Ainsi, dans l’année 1858, qui diffère à cet égard fort peu de celles qui l’ont précédée, sur 41,228 tonneaux importés, 5,412 seulement l’ont été par navires français. Le tonnage d’exportation est à peu près nul. La contrée n’envoie au dehors que de menues denrées : le port livre par an de 30 à 35 millions d’œufs à l’Angleterre et trie pour elle en automne des monceaux de poires et des pommes. Tout s’est amoindri, et, s’il faut l’avouer, le personnel naval du port d’Honfleur est ravagé dans ses rangs inférieurs par l’abus des liqueurs fortes ; ses matelots passent pour incapables des grandes choses qu’ont accomplies leurs ancêtres : c’est ainsi que la grande pèche, pour laquelle Honfleur est si bien placé et qui fit autrefois sa fortune, y est aujourd’hui tout à fait délaissée.

Si la décadence de la marine d’Honfleur n’avait pas d’autres causes que l’envasement du port, il ne faudrait pas désespérer d’y remédier. L’entrée d’Honfleur a été, dans des temps reculés, aussi difficile qu’on l’ait jamais vue de nos jours : elle a été presque entièrement interdite en 1522, en 1751, en 1775. À ces trois époques, les habitans se mirent héroïquement à l’eau pour désobstruer la passe en agitant la vase sous l’impression du jusant. En 1638, la commission chargée par le cardinal de Richelieu de rechercher l’emplacement d’un port de roi dans la Manche disait d’Honfleur : « Les difficultés de l’atterrage par les sables neutralisent ce port… On n’y pourra jamais retirer que des bâtimens moyens. » Envoyé par Colbert en 1664, le chevalier de Clerville, qui fut à quelques égards le précurseur de Vauban, déclarait « que les batures qui étaient devant Honfleur empêcheraient toujours qu’il y entrât de grands navires, et qu’il était pour cette raison inutile d’y faire de grands travaux. » On n’exprimerait pas autrement aujourd’hui la limite des services que peut rendre le port, et, puisqu’en dépit des dangers dont il est menacé, sa ruine a toujours été conjurée, elle peut, elle doit l’être encore.

Depuis les travaux exécutés en vertu des lois de 1837 et de 1842,