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resta en suspens. L’œuvre de réforme a été reprise dans des lois récentes[1] qui méritent d’être signalées, et qui, en favorisant la levée des mandats, ont rendu l’élargissement des prévenus plus facile ; mais sauf ces heureux changements qui en appellent tant d’autres, le système de 1808, qui dans la pensée de Napoléon Ier n’était que provisoire, a été conservé intact, avec tous les abus qui peuvent en résulter.


III

Faut-il se résigner à apprécier les garanties qui manquent à nos lois sans chercher à se les approprier ? Faut-il n’aimer le progrès qu’à distance et se contenter de le recommander aux autres sans en profiter soi-même ? C’est là une opinion qui met à l’aise ses adeptes, mais qui n’est bonne qu’à décharger une nation de tout sentiment de responsabilité, en lui faisant croire que la liberté est un fruit du sol, et qu’il n’y a qu’à s’en passer quand elle n’est pas née d’elle-même et sans effort. Pour ne pas faire acte d’adhésion à cette doctrine, il importe de rechercher les moyens de remédier au mal, et par conséquent il ne sera pas trop téméraire de faire reconnaître que la liberté individuelle, à l’aide de quelques nouveaux articles de loi, pourrait être aisément acclimatée en France. Pour obtenir ce bienfait, il suffirait de poser des limites à la détention préventive et de donner quelques moyens de défense contre la détention illégale.

Sans doute la détention préventive, quand elle est ordonnée par le magistrat compétent et prémunie contre la surprise ou la prolongation arbitraire, ne doit pas être exclue d’une législation. Elle peut justement être destinée à assurer l’exécution du jugement, s’il est à craindre que le prévenu laissé libre ne prenne la fuite pour n’être pas jugé et condamné ; elle peut à bon droit servir à l’instruction du fait incriminé, si l’on craint que le prévenu ne profite de sa liberté pour détruire les preuves de sa culpabilité ou s’entendre avec ses complices ; enfin elle peut être nécessaire à la paix publique lorsqu’il importe de retirer au prévenu sa liberté pour le mettre sur-le-champ hors d’état de nuire. Il ne faut cependant point oublier, d’autre part, que la détention préventive n’est pas une peine, puisqu’elle ne sévit pas contre un coupable, et que néanmoins, sans être une peine, elle est pour le prévenu la privation d’un droit inhérent à sa personne. Cette privation, qui ne résulte d’aucun jugement et qui équivaut à une peine, ne peut se justifier qu’à titre

  1. Lois du 24 avril 1855 et du 17 juillet 1856.