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de l’initiative française, pourrait nous mener si loin, ce système que la France se doit à elle-même, et qu’elle doit à l’Europe, il faut qu’il émane de la conscience du pays, stimulée, éclairée par les plus libres controverses. Nous avons reconnu avec impartialité que le décret du 24 novembre annonçait que l’instinct de cette nécessité de la situation ne manquait point au pouvoir. Qu’était-ce en effet que les nouvelles prérogatives accordées au corps législatif, sinon un appel adressé à la représentation du pays pour dégager et préciser la pensée publique ? L’expérience du décret du 24 novembre a été commencée dans les discussions de l’adresse au sein du sénat et au corps législatif. Le succès de l’expérience a-t-il été complet ? Personne ne l’oserait dire. Pour ne parler que du résultat, il a laissé les esprits dans l’incertitude touchant les questions qui sont le souci du présent et de l’avenir. Les chambres n’ont exprimé leur jugement que sur le passé, et les discussions ardentes qui ont précédé ce jugement en ont même rendu la portée indécise. Sur l’avenir, les votes comme les débats des chambres ne nous ont fourni aucune donnée assurée. Nous croyons ne point sortir de l’impartialité, que nous considérons comme un devoir plus étroit que jamais dans les circonstances actuelles, en supposant que le décret du 24 novembre est un essai d’amélioration qui laisse la voie ouverte à des essais nouveaux que la pratique rendrait nécessaires. On peut donc en toute sûreté en étudier les effets pratiques, et indiquer les progrès que cette épreuve réclame et promet.

À nos yeux, si la pensée publique n’a point été suffisamment dégagée par les discussions de l’adresse, cela tient à plusieurs causes qui s’enchaînent les unes aux autres. Pour faire sortir du sein d’un pays l’opinion qui doit se condenser et trouver dans le gouvernement son expression la plus haute, il faut que les grandes opinions qui existent dans la nation possèdent des moyens préalables de préparation, d’organisation, de concert, de transaction. Dans l’état actuel de la presse, ces moyens manquent en France. Les controverses politiques ayant été durant dix ans suspendues, on a vu un autre effet de cette longue léthargie de la vie publique qui nous a surpris moins que personne. On s’est trouvé en présence d’opinions absolues qui ne s’étaient point assouplies au mouvement des choses en Europe. On a rencontré dans la rigidité de ces opinions qui ont échappé à l’influence des faits accomplis des obstacles aux transactions rendues nécessaires notamment par l’état de l’Italie. Pour les observateurs attentifs, il a été démontré en outre que le mécanisme d’après lequel sont actuellement établies les relations des chambres avec le pouvoir ne se prête guère à une action parlementaire efficace. Tant que tous les ministres du pouvoir exécutif ne prendront point une part active aux délibérations des assemblées, on ne comprend pas que les opinions puissent s’organiser au sein de ces assemblées et influer directement sur le pouvoir. Or le grand avantage de l’organisation des opinions dans les assemblées et de leur action sur le pouvoir est de