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nécessaires par les voies de la persuasion, et au besoin par la résistance passive. Les avancés au contraire seraient prêts, s’il le fallait, à en appeler à l’action. Le parti avancé, qui n’entend donc faire à l’Autriche aucune concession sur le maintien des lois de 1848, et qui compte sur l’appui des masses, s’il était nécessaire d’en venir aux résolutions extrêmes, forme environ les deux tiers de la chambre basse, et recevra, dit-on, la direction du comte Ladislas Téléki. Avec M. Deak sont les magnats, les évêques, l’aristocratie, les patriotes pacifiques, la classe commerçante et une portion des nationalités étrangères enclavées dans la Hongrie ; mais le comte Téléki sera suivi par le vrai peuple d’Arpad, comme disent les Hongrois, et par la majorité des autres nations. Au surplus, la cour de Vienne devra s’armer de patience, car les modérés pas plus que les exaltés ne sont disposés à lui faire grâce des récriminations que peuvent leur inspirer douze années de mauvais gouvernement et de griefs accumulés. On a pu avoir une idée des ressentimens qu’a nourris la Hongrie et qu’elle ne veut point oublier, lorsque dans la chambre haute le président d’âge, le vieux comte Esterhazy, a évoqué le souvenir de cette noble victime des sanguinaires répressions de 1849, du comte Louis Bathyany, dont « le patriotisme, dit-il, peut servir de modèle à l’assemblée. » Il faut maintenant suivre attentivement cette crise de la Hongrie, dont les vicissitudes peuvent correspondre aux mouvemens de l’Italie, car parmi les Magyars exaltés on ne se gêne guère pour parler de Garibaldi reconduisant dans la patrie hongroise les émigrés qui ont été ses compagnons d’armes.

Si de Pesth nous remontons vers Varsovie, quoique nous n’ayons peut-être plus à calculer, devant la Pologne les chances d’un conflit légal aboutissant à une guerre de races, nous rencontrons un spectacle à nos yeux plus émouvant encore. La lugubre boucherie de Varsovie sera un des plus douloureux souvenirs de l’ère révolutionnaire qui s’est ouverte pour les nationalités opprimées. Quoi de plus saisissant et de plus touchant que l’indomptable vitalité du sentiment national dans cette Pologne depuis si longtemps morcelée, et qui, sans attaquer et sans se défendre, se résigne à verser son sang pour empêcher la prescription des droits qu’elle n’a point la force de faire prévaloir ? Le gouvernement russe avait, dans ces derniers temps, paru rechercher la faveur de l’opinion de l’Europe civilisée : il pourra bientôt mesurer tout ce qu’il a perdu dans l’estime de l’Occident par la cruelle conduire de ses représentans à Varsovie. On ne peut pas comprendre chez nous la contradiction inexcusable de cette conduite. On commence par feindre vis-à-vis de la population de Varsovie une disposition à faire des concessions importantes ; on a en présence de soi une population désarmée, et qui, confiante dans la force morale de ses droits, rejette loin d’elle tout instrument de défense ; on fait appel à l’ascendant légitime qu’exerce sur cette population une réunion agricole composée de l’élite de la nation, et qui en devient la représentation naturelle ; on paraît se fier