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et l’influence des comices ont introduites dans le pays. La terre, soulevée en longs rubans, se déverse à droite de la charrue ; l’herbe de la surface est enfouie, et le réseau inextricable de racines de toute espèce, de fougères surtout, qui s’oppose à la marche du soc, est mis au jour ; des craquemens sourds témoignent du travail qui s’accomplit sous la surface. Dans ces terres de nouveauté, comme disent les paysans, il faut un aide spécial, d’ordinaire un enfant, qui, armé d’un long bâton, débarrasse le coutre des herbes qui en paralysent l’action. Les champs de labour sont en outre entremêlés de bouquets de bois, de petites prairies, de terrains en jachère, où paissent quelques bestiaux au milieu des ajoncs, des fougères et des genêts. Cette succession de détails, cette vie éparpillée, fatigueront nécessairement l’agriculteur étranger. S’il essaie alors de saisir la configuration générale du pays, et, du sommet d’une des nombreuses côtes que présente la route, de se retrouver au milieu de ce réseau de collines boisées, son incertitude sera la même. Devant lui, sur la route, les arêtes extrêmes des côtes s’étagent comme les gradins d’une échelle ; autour de lui, les sommets se dressent les uns derrière les autres sans ordre apparent. En outre l’effet de ce panorama est souvent trompeur pour un œil inexpérimenté ; les petites collines, abaissées par le point de vue et réduites au même niveau, figurent une plaine. On ne peut saisir que les grandes lignes.

Pour se faire une idée précise de la configuration du sol du Bocage, il faut prendre la belle carte de Cassini que celle de l’état-major ne fera pas oublier. Le dessin très net des cours d’eau et des vallées qui les renferment en montre tout de suite la direction. Dans les cours d’eau principaux, dont aucun n’est bien considérable, puisqu’ils naissent dans le Bocage et finissent dans la Loire ou la Sèvre niortaise, viennent se jeter des ruisseaux secondaires qui coulent chacun dans une vallée étroite et courte, alimentés eux-mêmes par les eaux des petites et tortueuses vallées qui s’embranchent sur celle-ci. Cette configuration du pays n’a certainement rien de particulier, c’est, sur une échelle plus ou moins grande, celle de tous les pays du monde ; mais ce qui caractérise le Bocage, c’est la réduction extrême de l’échelle, c’est la très grande subdivision de cette ramification. Le mode de culture a été naturellement déterminé par cette forme accidentée du pays.

Dans ces plis de terrain si multipliés se cachent les habitations des fermiers. Les exploitations n’étant en moyenne que de 40 hectares, chacune a pu se créer autour des bâtimens, dans un court rayon, le petit domaine qui lui est nécessaire, et cela grâce à l’heureux mélange des terrains de diverse nature. Dans le fond des petits vallons, le long des ruisseaux, sur les bords des rivières sont les prés ; sur les versans, sur les plateaux sont les terres labourables. Toute cette culture est à proximité de la ferme ; il y a peu de chemin à faire pour transporter les fourrages, pour charrier les engrais. La surveillance du maître est facile. Les cultivateurs du Bocage ne connaissent pas les maux de la sécheresse. En 1858 et 1859, années exceptionnelles, on en a vu qui se trouvaient très malheureux d’être obligés de conduire