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ils sont très salubres et bien tenus. La compagnie les loue à bas prix dès la première année ; ce prix va en décroissant tous les ans ; au bout de cinq ans, le logement est gratuit. C’est une excellente idée, non-seulement au point de vue de la bienfaisance, mais au « point de vue d’une bonne administration. Et pourtant combien ce logement gratuit est encore loin de la maison vendue ! Un ouvrier bien logé est certainement un meilleur ouvrier qu’un habitué de garni et de taverne ; mais quelle différence encore entre lui et un ouvrier propriétaire !

La généralisation du système des cités ouvrières détruira une des principales objections qui s’opposent à la dispersion des établissemens industriels. Nous avons trop de cours d’eau et trop de voies ferrées pour que la question des messageries conserve l’importance qu’elle avait jadis ; l’abolition du régime prohibitif, en contraignant nos industriels à se servir d’outillages de premier choix, rend la proximité des mécaniciens moins nécessaire ; enfin plus l’industrie se développe, plus la vente et l’achalandage deviennent indépendans de la situation topographique de l’établissement. Il ne s’agissait donc plus, pour les maisons isolées, que de trouver le moyen d’avoir toujours un personnel suffisant. Ce moyen est trouvé : il n’y a pas à craindre que les habitans de la cité de Mulhouse quittent leur propriété pour aller vivre en nomades à Rouen ou à Lille.

La transformation des ouvriers de Mulhouse a été rapide. Ces rudes enfans de l’Alsace, devenus propriétaires par leur travail, administrent leur avoir avec une sorte d’âpreté, ne négligent rien pour l’étendre à force d’activité et d’économie, et gouvernent leur famille avec bon sens, honnêteté et fermeté. Dans tous les centres industriels où les ouvriers n’ont pas été considérés comme de pures machines à pousser la navette ou à battre l’enclume, leur esprit a contracté des habitudes sérieuses, et leur moralité s’en est heureusement ressentie. La même réforme se remarque toujours chez ceux d’entre eux qu’on appelle à exercer quelque autorité dans l’atelier, siéger dans un conseil de prud’hommes ou même dans un simple conseil d’administration de société de secours mutuels. Ces faits ne seront pas niés par les défenseurs de la propriété et de la famille, qui ont démontré, il y a quelque dix ans, avec tant de zèle, d’éloquence et de succès, l’étroite solidarité qui unit la liberté, le travail, la propriété et les vertus domestiques.


III

Qu’est-ce qu’un chef de famille ? C’est d’abord le protecteur et le pourvoyeur de la maison ; c’est aussi, au milieu des siens, la raison