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jusqu’aux dernières habitations de la paroisse des Nachitoches. C’était au village de ce nom, situé à quinze lieues de sa demeure, que John Hopwell conduisit le Cachupin et doña Jacinta pour s’embarquer avec eux et gagner en quelques jours la Nouvelle-Orléans.

Quand elle vit les deux étrangers faire leurs préparatifs de départ, Cora éprouva un vif sentiment de satisfaction. La sombre tristesse qui l’accablait depuis quelques jours se dissipa tout à coup, et elle se livra aux transports d’une folle joie. Hopwell, lui aussi, paraissait plus calme ; les sérieux projets qu’il allait mettre à exécution, et dont il n’avait révélé à personne toute l’étendue, occupaient son esprit. Oubliant un passé plein de souvenirs pénibles, il entrevoyait d’un œil plus serein les perspectives d’un avenir mieux réglé. Aucun des serviteurs qui l’entouraient ne soupçonnait la résolution qu’il venait de prendre. Lorsqu’il donna l’ordre de seller son cheval, Cora, ne se souvenant plus du projet de voyage dont il avait parlé deux jours auparavant, s’imagina qu’il allait tout simplement accompagner pendant quelques lieues et mettre dans leur route le Cachupin et doña Jacinta.

— Maître, dit-elle avec gaieté, indiquez-leur bien le chemin qu’ils ont à suivre, car s’ils se perdaient dans la forêt, ils reviendraient peut-être.

— Ils ne se perdront pas, répliqua Hopwell, sois-en sûre, je pars avec eux… Va chercher ma valise.

— Où donc allez-vous, maître ?… demanda Cora avec surprise,… jusqu’au village ?

— Plus loin, jusqu’à la ville… Dans quinze jours, je serai de retour ici.

Cette courte réponse plongea Cora dans de nouvelles inquiétudes. Qu’allait faire son maître à la Nouvelle-Orléans ? Sans aucun doute, ce brusque départ cachait quelque mystère. En proie aux plus tristes pressentimens, elle suivit du regard les trois voyageurs qui disparaissaient sous les grands arbres de la forêt, accablant de malédictions le Cachupin et sa femme, et espérant toujours que son maître se retournerait vers elle pour lui adresser un geste d’adieu ; mais Hopwell s’éloigna au grand trot, sans tourner la tête en arrière, et Cora, demeurée seule sur la galerie de la maison, se prit à fondre en larmes. Il lui sembla que tout était perdu pour elle. Ces belles journées de printemps, toutes remplies de chants d’oiseaux, échauffées par un soleil radieux, lui paraissaient mornes et glacées. Celui qui a le cœur blessé ne voit volontiers dans le sourire de la nature qu’une amère ironie, une insulte à sa douleur. Cette femme, habituée à céder à ses instincts violens, et dont l’esprit inculte ne pouvait s’élever au-dessus des sensations matérielles, passa tout à coup de la