Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous cherchez à me tromper, monsieur Hopwell !

— Non, señora, non ; votre mari l’aura rejetée loin de lui pour regagner plus facilement le bord.

— Vous avez peut-être raison, répondit Doña Jacinta ; mais j’ai beau faire effort sur moi-même, je ne puis résister aux inquiétudes qui viennent m’assaillir… Parlons, si vous le voulez ; marchons, la vue de ce bateau me navre de douleur…

Hopwell et doña Jacinta montèrent à cheval et partirent aussitôt ; ils allaient vite, gardant un profond silence, et se livrant, chacun de son côté, à toute sorte de conjectures. Le soleil n’était pas encore couché quand ils aperçurent l’habitation, qui se dessinait au milieu de sa vaste clairière toute bordée d’arbres majestueux. Cora, qui attendait avec une impatience fébrile le retour de son maître, poussa involontairement un cri de joie quand elle entendit un cheval hennir dans la forêt. Elle s’élança pour courir au-devant de Hopwell ; puis, à la vue de doña Jacinta qui le suivait, morne et abattue comme une captive, elle resta muette de surprise. Mille idées étranges traversèrent son cerveau.

— Que s’est-il donc passé ? murmura-t-elle. Voilà l’Espagnolette qui revient seule ; elle a les yeux rouges de larmes, et le Cachupin ne se montre pas !… Mon maître est sombre ; il a sa figure des mauvais jours.

Hopwell paraissait en effet fort agité ; il conduisit doña Jacinta dans la vieille habitation qu’elle avait occupée avec son mari avant le voyage, et revint chez lui presque aussitôt. Son visage trahissait autant d’inquiétude que de fatigue ; il prit à la hâte quelque nourriture, et se retira dans sa chambre à coucher. Cora l’observait d’un œil attentif, cherchant à comprendre ce qui se passait en lui et n’osant lui adresser aucune question. Elle l’entendait se promener à grands pas et ranger des papiers dans son appartement, dont il avait fermé la porte sur lui. Voyant bien qu’il n’y avait rien à tirer de son maître, elle alla rôder autour de la maisonnette où doña Jacinta se tenait à genoux près de la fenêtre, le front appuyé sur ses mains et priant avec ferveur. La nuit approchait ; une lueur rougeâtre éclairait de ses reflets les grands arbres de la forêt ; des nuages légers et transparens, colorés par les derniers rayons du soleil, s’étendaient en lignes régulières sur l’azur du ciel ; quelques colibris attardés bourdonnaient encore dans le calice des fleurs, et les lucioles commençaient à briller sous le feuillage comme des étoiles errantes. Cachée dans un bosquet, Cora regardait avec une curiosité malveillante la femme du Cachupin, qui mêlait à ses prières de sourds gémissemens. Elle prenait plaisir à écouter les sanglots de cette femme désolée, dont le retour mystérieux lui causait plus de colère encore