Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coulaient sur ses joues, et le regard curieux des petits oiseaux qui la considéraient attentivement à travers le feuillage lui causait un malaise insupportable. Bientôt les pas d’un cheval retentirent derrière elle ; Cora trembla de tous ses membres, et elle faillit s’évanouir quand elle reconnut le Cachupin lui-même, qui arrivait au grand galop. Il montait un petit cheval d’emprunt si harassé, que ses quatre pieds semblaient se mouvoir par des ressorts. Dès qu’il déboucha sur la clairière, don Pepo se mit à crier de toutes ses forces : Jacinta ! Jacinta !… À ce cri, répété par tous les échos de la forêt, doña Jacinta s’élança dehors. Palpitante d’émotion, elle fit quelques pas en avant ; mais un tremblement nerveux s’empara de tout son corps, et elle se sentit près de défaillir. Un vague effroi comprimait les élans de son cœur ; elle éprouvait cette anxiété terrible d’une âme troublée qui ne sait plus distinguer le rêve de la réalité.

— Jacinta ! répéta encore le Cachupin en sautant à bas de son cheval, reviens à toi !… c’est moi, c’est Pepo !

Doña Jacinta laissa échapper un cri de joie, et elle se jeta dans les bras de son mari en versant des larmes.

Cora, clouée par la surprise et par la frayeur au pied du buisson qui la cachait à tous les regards, avait vu revenir à la vie et renaître au bonheur cette femme désolée dont elle s’était plu à remplir l’âme de terreur et d’inquiétudes cruelles. C’était là le premier châtiment de son crime. Puisque le mari de doña Jacinta avait reparu, à quoi lui servait d’avoir versé le poison à son maître ? Si Hopwell était fatigué de la vie qu’il menait dans ces solitudes, sans autre compagnie que celle d’une femme de couleur, il devenait clair cependant que sa conduite à l’égard du Cachupin et de doña Jacinta ne cachait aucune intention déloyale. Ces réflexions traversèrent l’esprit borné de Cora ; mais le remords ne trouva pas de place dans son âme, bouleversée par des passions tumultueuses. Pareille à la lionne mal apprivoisée qui, après avoir blessé mortellement, dans un moment de capricieuse fureur, le gardien dont elle léchait chaque jour les pieds et les mains, sort de sa cage et se sauve en rugissant, Cora, ivre de colère, se prit à fuir à travers la forêt, sans savoir où elle allait.

La nuit était venue ; le Cachupin, étonné de n’apercevoir aucune lumière dans l’habitation de Hopwell et de ne pas l’avoir vu paraître au moment de son arrivée, s’empressa d’aller frapper à sa porte. Une voix faible lui répondit : Entrez ! Il pénétra dans la salle à manger, et au milieu d’une obscurité profonde sa main rencontra la main glacée de Hopwell.

— Que se passe-t-il ? qu’avez-vous ? demanda le Cachupin.