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étape. On sait la place qu’occupaient dans l’ancienne religion grecque cette ville et son temple consacré aux mystères de Cérès et de Proserpine, les plus célèbres et les plus redoutables de tous les mystères païens. Ils subsistaient toujours malgré l’interdiction dont la loi chrétienne avait frappé en masse les conciliabules des idolâtres et leurs initiations ; mais, en face d’Eleusis, Théodose avait renoncé à des mesures violentes qui eussent coûté des torrens de sang. Le temple, construit en marbre pentélique sous Périclès et décoré de bas-reliefs par Phidias, dominait la ville et le golfe, couvrant de sa sombre majesté cette terre vouée aux divinités infernales. Les païens n’en approchaient qu’avec terreur, et les doctrines qu’on y enseignait, sous le sceau d’un secret inviolable, étaient devenues, au Ve siècle, l’essence même et l’âme de la religion hellénique. À l’approche de ces murs odieux aux chrétiens, les hommes à manteau noir reparurent et revinrent à la charge près d’Alaric, qu’ils trouvèrent mieux disposé cette fois pour plusieurs raisons : Eleusis, longtemps enrichie des offrandes du monde, passait pour très opulente, et son nom n’était pas, comme celui d’Athènes, une de ces grandes gloires qu’on pouvait craindre d’affronter ; puis le roi goth devait un dédommagement à son armée pour un pillage perdu ; lui-même enfin se trouvait plus aguerri contre le pouvoir des démons après une nui passée au milieu d’eux. Les moines triomphèrent donc, sans grand peine, à ce qu’il paraît, quoique les écrivains païens fassent retomber sur eux toute la responsabilité du mal. Ce qui n’est que trop certain, c’est que les soldats goths, faisant invasion dans le temple, le bouleversèrent de fond en comble, que les bas-reliefs de Phidias furent brisés, les blocs de marbre roulés les uns sur les autres, et que, guidés par les moines, les Barbares, la torche en main, allèrent fouiller ces souterrains jadis inviolables, et visités des seuls hiérophantes. La dévastation dut être complète, dirigée par les manteaux noirs ; cependant, après le départ des Goths, les païens reprirent parmi ces ruines qu’ils déblayèrent leurs assemblées clandestines, tant le culte des mystères de Cérès était tenace dans le cœur des Hellènes. Il y a peu de mois que des voyageurs français, explorant, après quatorze siècles, l’emplacement d’Eleusis, ont retrouvé sous les décombres des cadavres de démolisseurs ensevelis à côté de leurs marteaux : c’étaient peut-être des soldats d’Alaric.

Le sac de la ville suivit celui du temple. Les habitans avaient eu hâte de fuir pendant qu’on exécutait leurs dieux : la cavalerie des Goths, les chargeant dans toutes les directions, en fit un grand carnage, et reprit le butin qu’on lui dérobait. La ville de Mégare, seconde étape d’Alaric, essaya de se défendre, et mal lui en prit ; elle fut enlevée d’assaut. Les populations d’alentour se portaient en masse