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débris ; les milices du Péloponèse, en pleine déroute, regagnaient tristement leurs contrées natales, et Alaric marchait sur Argos.

Stilicon se mit à sa poursuite et l’atteignit entre cette ville et Sparte. Les deux armées manœuvrèrent quelque temps dans des régions entrecoupées de montagnes et de bois ; enfin les bords de l’Eurotas furent le théâtre d’une sanglante bataille où les Goths furent défaits. Alaric effrayé gagna en toute hâte les sources de ce fleuve pour passer dans la vallée de l’Alphée, et mettre, s’il se pouvait, les hautes chaînes de l’Arcadie entre son ennemi et lui : il n’y réussit qu’à moitié, pressé qu’il était sur ses derrières par l’avant-garde romaine, et engagé chaque jour dans des combats où il perdait beaucoup de monde. Pendant les marches et contre-marches qu’amena ce mouvement des armées, le pays qu’elles occupaient fut réduit en désert. Ici, pour protéger sa marche, Alaric abattait les forêts séculaires du Lycée ; là, pour brûler ses morts, il mettait le feu aux bois sacrés du Ménale, et l’incendie, se propageant de montagne en montagne, dévastait toute la région. Stilicon n’en faisait pas moins pour gêner son ennemi. Ainsi disparurent l’une après l’autre ces antiques retraites des dieux de la Grèce, éternellement chères à la poésie, et les fraîches vallées de l’Arcadie, séjour de Pan et des Muses, et les ombrages du Taygète, témoins de tant de fêtes frénétiques, quand les vierges lacédémoniennes, le thyrse en main, célébraient les orgies de Bacchus[1]. Arrivé près d’Olympie, et ne trouvant ni dans cette ville ni à Pise de position assez favorable pour risquer une seconde bataille, Alaric courut se retrancher au nord de ces villes, sur un plateau du mont Pholoé, dernier sommet de l’Erymanthe. Il s’y fortifia, et attendit de pied ferme l’armée romaine. La position était forte en effet, les Goths ayant pour eux la pente du terrain, aussi Stilicon, informé d’ailleurs qu’ils manquaient de vivres, aima mieux les bloquer que de tenter l’attaque de leur camp. Il fit établir, suivant toutes les règles de la poliorcétique, une ligne de fossés palissades qui entoura la montagne dans presque tout son circuit ; une petite rivière qui fournissait de l’eau aux assiégés fut même détournée de son cours, et, la circonvallation achevée, Stilicon put espérer de réduire bientôt son ennemi par la famine.

Malheureusement le blocus se prolongea, au grand détriment de la discipline, car les soldats, trop voisins de Pise, quittaient à chaque instant leur poste pour aller piller. Stilicon lui-même se relâcha de l’activité qui convenait à un général, et qu’on vantait au reste chez lui comme une de ses principales qualités. Cette molle patrie

  1. …Virginibus bacchata lacænis
    Taygeta. (Virg., Georg. II.).)