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dans cette affaire, sans annoncer une opposition directe à la prorogation du terme fixé par le traité, indique pourtant la répugnance que ressent le gouvernement anglais à voir une troupe française occuper des positions en Syrie. « Il ne faut pas oublier, disait l’autre soir lord Stratford de Redcliffe à la chambre des lords, que la Syrie est la clé de l’Égypte, qu’en détenant l’une, on est maître de l’autre. » L’Angleterre jusqu’à présent dissimule mal son mauvais vouloir en se dérobant derrière la Porte : c’est au gouvernement turc à se prononcer sur l’évacuation immédiate ou l’occupation prolongée ; l’Angleterre décidera ce que la Porte approuvera. Quant à la Turquie, elle prétend que l’occupation n’est pas nécessaire ; elle ne consentait tout au plus à proroger le délai que jusqu’au 5 mai. La concession était illusoire. Deux mois, ce n’est à peu près que le temps nécessaire pour opérer l’évacuation. La question a été de nouveau soumise aux gouvernemens, et la solution sera connue sous peu de jours. Si les réponses attendues décident le retour immédiat du corps français, on ne peut s’empêcher de reconnaître que les puissances qui se seront prononcées pour cette solution assumeront sur elles une responsabilité bien grave ; la France, en se soumettant à leur décision, ne peut moins faire que de le leur rappeler, afin de se dégager et de renvoyer à qui de droit les reproches que l’opinion adresserait aux puissances, si la Syrie redevenait le théâtre de nouveaux désordres. La conduite de l’Angleterre à cet égard est difficile à comprendre. Elle est peut-être la puissance européenne la plus intéressée au maintien de l’empire ottoman : or comment ne voit-elle pas que dans les circonstances actuelles, après l’émotion qu’ont excitée dans l’opinion européenne les massacres de Syrie, une nouvelle explosion de fanatisme et d’anarchie forcerait la main aux gouvernemens, et ouvrirait fatalement, et peut-être cette fois pour en finir, la question d’Orient ? Comment ne sent-elle pas que les embarras financiers de la Porte, aggravés par l’échec de l’emprunt ottoman émis à Paris, en affaiblissant encore les ressorts si relâchés de l’administration turque, rendent peut-être imminente une catastrophe que pourrait détourner la présence de nos troupes ? Il y a quelque chose d’inexplicable pour nous dans les contradictions que présente la politique anglaise en Orient. L’Angleterre veut que la Turquie vive, et elle lui refuse les moyens d’exister. Il y a quelques mois, le gouvernement français proposait au cabinet anglais de donner la garantie des deux états à un emprunt qui pût rétablir les finances turques, et le cabinet anglais a repoussé cette ouverture. Aujourd’hui on peut encore, par la présence d’une troupe européenne en Syrie, prévenir des désordres qui donneraient le signal de la décomposition de la Turquie, et l’Angleterre semble vouloir de gaieté de cœur déchaîner sur la Turquie ce péril qui rejaillirait aussitôt sur l’Europe. On n’est point accoutumé à trouver la politique anglaise si imprévoyante et si étourdie.

Mais les points sur lesquels nous attendons avec le plus d’impatience les