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contempler ton œuvre sans l’admirer lui-même. Thratta, approche le siège ; non, je serai mieux à cette place. Et toi, Bacchis, tiens le parasol étendu au-dessus de ma tête ; le soleil m’éblouit.

PÉRICLÈS.

Je me livre sans défense à tes railleries, pourvu que tu sois équitable envers Phidias, car il attache beaucoup de prix à ton jugement.

ASPASIE.

Je regarde et demeure stupéfaite. À dire vrai, je n’aurais jamais cru que Phidias sût aussi bien peindre. C’est beau, c’est noble, et je me sens tout à la fois frappée et charmée. Les portraits de Miltiade et de Cynégire qui sont au Pœcile n’approchent pas de bien loin. Polygnote lui-même, s’il vivait, s’avouerait vaincu.

PHIDIAS.

Tu dépasses la mesure, Aspasie. Polygnote est parmi les peintres ce qu’Homère est parmi les poètes, tandis que je ne suis même plus accoutumé à manier le pinceau. Mon seul avantage, c’est un sentiment de la forme et du dessin que je dois au métier de sculpteur. Je me réjouis, par Hercule, d’obtenir ton suffrage, que je préfère à celui de beaucoup d’hommes ; mais peut-être seras-tu du même avis que Périclès.

ASPASIE.

Quel est l’avis de Périclès ?

PHIDIAS.

Il craint d’exciter le courroux de Jupiter.

ASPASIE.

Que dis-tu ? Un disciple d’Anaxagore n’a pas une telle faiblesse.

PHIDIAS.

Je vais parler sérieusement. Il voudrait que je l’eusse représenté tel qu’il est, au lieu de le transformer en roi de l’Olympe. Il me reproche de n’avoir pas copié exactement la nature, sans omettre ce qu’elle a de défectueux.

PÉRICLÈS.

Ai-je eu tort de dire que son amitié me prêtait une apparence si flatteuse que personne ne pourrait me reconnaître ?

ASPASIE.

Pour moi, je te reconnais à merveille, malgré ce front majestueux, cette chevelure qui va ébranler le monde, ces yeux où la bonté se confond avec la force, ces lèvres qui respirent la persuasion, ces sourcils où siègent la toute-puissance et l’équité. Tel je t’ai vu souvent, lorsque tu me récitais les discours que tu devais prononcer le lendemain devant le peuple. L’art consiste à peindre les hommes, non pas tels qu’ils sont dans les humbles circonstances, mais tels qu’ils apparaissent au moment de leurs grandes actions.

PHIDIAS.

Ton esprit s’élève sans effort jusqu’aux vérités les plus difficiles. Sois persuadée, Aspasie, que Périclès serait d’accord avec nous, s’il n’était retenu par la modestie.

ASPASIE.

Tu me fournis l’arme que je cherchais. N’est-il pas vrai, Périclès, que pour imprimer plus de respect à tes concitoyens, tu t’observes avec vigilance ?