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sommes que des manœuvres, trop heureux que Phidias ait besoin de nous. Dans son estime, il nous place immédiatement au-dessus des tailleurs de pierre qu’il emploie à quelques pas d’ici.

CRITIOS.

Tel est le sort de ceux qui vieillissent. Tout change, et la nuit succède au jour. Quand nous étions jeunes, Nésiotès, nous nous moquions des anciens artistes, qui savaient à peine façonner des idoles en bois et les habiller à la mode de Dédale. Aujourd’hui d’autres valent mieux que nous et nous raillent à notre tour.

NÉSIOTÈS.

À merveille. Tu dois réjouir le cœur d’Alcamène.

CRITIOS.

J’aurais imité Alcamène, si je m’étais senti encore l’esprit docile et la main souple. Phidias est plus savant que nous tous : ceux qui veulent exceller dans leur art doivent donc rechercher ses leçons.

NÉSIOTÈS.

Tourne-toi vers l’ouverture de la porte et contemple l’île d’Égine, immobile sur les flots azurés. L’air est si transparent aujourd’hui qu’elle semble à la portée de notre bras. Vois-tu le temple, peint de couleurs éclatantes ?

CRITIOS.

Je le vois.

NÉSIOTÈS.

Connais-tu les statues qui remplissent les frontons ?

CRITIOS.

Je les connais. Récemment encore j’ai fait la traversée avec Aristion le fondeur. Certes nos voisins les Éginètes se sont surpassés en représentant les combats des Grecs et des Troyens. De telles œuvres peuvent être comparées à un chant de l’Iliade.

NÉSIOTÈS.

Voilà pourtant les rivaux que nous avions commencé à vaincre, nous autres Athéniens, lorsque Phidias est venu nous dérober la moisson mûre et déjà dorée. Croyez-moi, mes amis, ceux qui avaient orné de sculptures le temple de Thésée et la frise de la Victoire étaient dignes de décorer le Parthénon. Alcamène, qui travaille en silence, nous aurait dirigés mieux que Phidias.

ALCAMÈNE.

Ne me mêle point à tes rancunes, Nésiotès ; tu sais que je suis l’ami de Phidias.

NÉSIOTÈS.

Son ami ? Oui, je le sais. Ainsi le loup est ami du loup, en attendant qu’ils se dévorent. Si Périclès était exilé demain, Phidias le suivrait, et le peuple chargerait Alcamène de construire le colosse de la déesse. À lui tout l’ivoire que l’Inde nous envoie ! A lui tout l’or que nos galères l’apportent de Skapté-Hylé et de Panticapée ! Quelle occasion d’acquérir de la richesse et une gloire éternelle !

ALCAMÈNE.

Tu t’exagères mon mérite. Phidias seul est capable de représenter les dieux dans toute leur beauté.