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et nulle classe de la nation danoise n’était plus assez forte pour s’opposer à l’envahissement de la nationalité germanique. La royauté administrative a rendu quelques importans services au Danemark : elle a réalisé la fusion dans un seul code des anciennes lois qui régissaient les diverses provinces, la simplification de l’organisation judiciaire et administrative, l’introduction de l’instruction primaire, l’affranchissement des paysans[1] et l’amélioration de leur condition économique ; mais, en faisant tout cela par des mains allemandes, elle a fait subir au Danemark un véritable fléau, elle lui a légué le germe de divisions intestines et de dissolution contre lequel il se débat aujourd’hui. Le premier des rois héréditaires, Frédéric III, était un Allemand. Comme fils cadet, il n’avait pas dû espérer la couronne, et, d’après les habitudes de ce temps, on avait pourvu à un entretien digne de son rang en lui procurant les revenus d’une dignité ecclésiastique sécularisée à Lubeck ; il s’y était marié à une princesse allemande. La mort de son frère aîné le fit parvenir au trône ; mais la reine et lui amenèrent une camarilla d’aventuriers allemands, qui, s’augmentant sans cesse, travailla dès lors à établir l’absolutisme et à dénationaliser le Danemark. Son fils fut élevé comme un Allemand. Si quelque représentant du génie national, comme l’habile homme d’état Griffenfelt[2], venait à s’élever, la puissance des favoris allemands conspirait et obtenait sa chute. Le dernier degré fut atteint sous Christian VI (1730-1746), et pendant tout le reste du XVIIIe siècle, époque d’abaissement et de mépris pour la nationalité danoise, le Danemark fut traité par l’Allemagne en pays vassal et en pays vaincu, la diplomatie et l’administration livrées aux Holsteinois, l’allemand substitué au danois comme langue officielle et, peu s’en faut, comme langue des églises et des écoles.

Cet envahissement du germanisme en Danemark était-il par quelque côté légitime ? Doit-on le condamner ? Faut-il, en présence de l’expansion d’une grande et noble race, prendre le parti des petites nationalités et applaudir à un morcellement stérile ? La réponse à de telles questions est évidemment dans la mesure de la vitalité des peuples, dans celle des services qu’ils ont rendus à la civilisation et de ceux qu’ils pourraient offrir encore. La règle est l’intérêt commun, l’avantage qu’apporte à la société européenne la variété des génies qui la composent et qu’une harmonieuse unité réunit. Toute nationalité qu’animent des souvenirs communs et de communes espérances,

  1. Voyez, dans la Revue du 15 novembre 1853, les Réformes sociales et la dernière crise en Danemark.
  2. Habile diplomate, il dirigea la politique du Danemark dans les guerres du milieu du XVIIe siècle.