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1776, peut en être regardée comme le premier signal. En même temps s’ouvrait toute une féconde période illustrée par des écrivains, des poètes nationaux ; le Danemark allait travailler à se reconquérir. Nous avons dit ailleurs sa renaissance politique et littéraire[1] ; cette œuvre de patriotisme n’est pas encore complètement achevée.

Elle n’est pas achevée, car c’est jusqu’à l’Eyder, c’est-à-dire jusqu’à la limite méridionale du Slesvig, que s’avançait jadis et que devrait se reconstituer entièrement aujourd’hui la nationalité Scandinave. Or l’Allemagne dispute encore l’entière et libre disposition de tout ce duché au Danemark. Tant que l’influence et l’intervention allemandes auront quelque chose à voir au nord de l’Eyder, le Danemark ne sera pas véritablement rentré dans l’entière possession de sa souveraine indépendance ; il ne sera pas libre de ses mouvemens, de ses affections et de ses vœux.

Est-il vrai que le territoire Scandinave aille réellement jusqu’à l’Eyder et que ce fleuve soit la limite que l’ethnographie et l’histoire ont tracée ? Les preuves en abondent. Jusqu’à la fin du XIVe siècle, tout le pays jusqu’à l’Eyder s’est appelé le Jutland, et le Slesvig actuel était nommé le Jutland méridional. Les Danois étaient postés sur l’Eyder quand Charlemagne, dans le cours de ses campagnes contre les Saxons, pénétra jusqu’à l’Elbe. Par l’exemple des Saxons défaits, ils purent apprendre ce qu’ils devaient attendre, s’ils ne s’opposaient au conquérant. Les rois des Jutes, Sigfred et son frère Godfred, reconnurent aussitôt le danger. Sigfred prit le chef saxon fugitif Wittekind sous sa protection, et le soutint dans sa résistance courageuse contre les Francs. Godfred lui-même se mit en campagne avec une grande armée et une puissante flotte. Il poussa victorieusement jusqu’à l’Elbe et jusqu’au Rhin, prit la forteresse fondée par l’empereur sur l’Elbe, subjugua la Frise, et pensa même visiter Charlemagne dans sa résidence d’Aix-la-Chapelle. Le grand empereur fut délivré de cet ennemi entreprenant et dangereux quand Godfred fut tué traîtreusement par un de ses propres guerriers. Son successeur Hemming, moins belliqueux, fit la paix avec Charlemagne dans une entrevue sur l’Eyder en 811, et ce fleuve fut établi comme limite commune entre le royaume du Danemark et l’Allemagne ; tel est le récit d’Adam de Brème. Godfred, avant sa mort, avait entrepris un ouvrage qui, aussi bien que ses faits d’armes, le rend digne d’être nommé le premier protecteur de la frontière danoise contre les Allemands. C’était le célèbre ouvrage de défense appelé le Kurvirke ou le Kurgraben[2], consistant en un mur de défense avec un fossé, depuis l’embouchure de la Slie jusqu’à la petite rivière de la Trène.

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1852.
  2. L’ouvrage ou le fossé de protection ; le vieux mot danois kure signifiait garder et protéger.