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construire une distillerie sur le domaine de son propriétaire, s’il n’avait pas eu un bail de vingt ans ?

On ne peut pas, nous le reconnaissons volontiers, aliéner pour un laps de temps indéfini, pour la vie d’un homme, le domaine qu’on possède. Le propriétaire perdrait, avec un tel engagement, les justes accroissemens de fermage qu’il est en droit d’attendre de l’augmentation continue de la richesse publique et du développement de fécondité qu’une bonne culture doit imprimer à sa terre. Toutefois, entre le bail de trois, six ou neuf ans et le bail emphytéotique, il y a une large distance. Tout fermier qui ne dispose pas d’une quinzaine d’années au moins ne peut rien entreprendre de sérieux. La durée du bail peut même s’élever à vingt ou vingt-cinq ans dans plusieurs circonstances pour le mutuel avantage des deux parties ; toutefois le propriétaire qui se dépossède pour une aussi longue période a droit à quelques compensations. N’est-il pas équitable en effet que ses intérêts suivent, avec ceux du fermier dont il facilite la prospérité, une marche progressive[1] ?

Si le concours du propriétaire se borne à la longue durée du bail qu’il accorde, le fermage peut et doit être progressif, c’est-à-dire d’autant plus considérable que l’exploitation du sol dure depuis plus d’années. Dans ce système, le fermier fait à la terre les avances convenables, et il n’en paie un fermage plus élevé que lorsqu’il commence à en retirer un plus grand profit ; le propriétaire aliène ses droits pour longtemps, mais il touche comme dédommagement un revenu qui s’accroît avec la durée de l’aliénation. La progression dont il s’agit a cependant pour terme, on le conçoit, le maximum de fermage que peut raisonnablement payer l’exploitation du domaine parvenu à son maximum de fertilité. Lorsque le propriétaire prend à sa charge personnelle certains travaux qui, comme les constructions, le drainage, les plantations, la création des chemins, l’irrigation, etc., assurent au sol une valeur permanente, ou dont la durée doit persister au-delà de l’expiration du bail tout en augmentant les bénéfices immédiats de la culture, il a le droit d’exiger, outre le fermage, un paiement d’intérêts pour le capital dépensé de commun accord avec le fermier. C’est ainsi que dans la Brie et dans plusieurs autres provinces agissent pour le plus grand bien de leurs domaines des propriétaires riches et intelligens, et qu’on voit dans le Cantal de bons fermiers solliciter de leurs propriétaires, à semblables conditions, le drainage de terrains trop hu-

  1. Lorsque la durée du bail dépasse dix-huit ans, la transcription de ce bail aux registres hypothécaires est exigée par la loi. Cette mesure, dont le but est de sauvegarder les intérêts possibles des tiers, n’altère en rien les considérations que l’on présente ici ; nous n’en parlons donc que pour mémoire.