Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en restent pas moins essentiellement distincts, de même toute collection naturellement formée d’individus, fût-elle très restreinte et caractérisée par de très légères différences, est une espèce distincte, si ces différences suffisent pour l’isoler de toute autre suite d’individus[1]. » La race et l’espèce se distinguent d’ailleurs l’une de l’autre par deux ordres de faits. D’une espèce à l’autre, on ne trouve jamais ces suites graduées dont parle ici M. Isidore Geoffroy ; ces suites existent au contraire d’une race à l’autre dans les espèces les plus profondément altérées, les plus diversifiées. Entre espèces, toutes les unions croisées présentent, à des degrés divers, les phénomènes de l’hybridation ; entre races, les mêmes unions donnent naissance aux phénomènes du métissage.

D’un groupe humain à l’autre, on trouve tous les intermédiaires imaginables ; entre groupes humains, le croisement présente au plus haut degré les caractères d’un métissage. Ces groupes sont donc autant de races d’une espèce unique. Comme toutes les espèces végétales ou animales, cette espèce est variable. Le milieu agit sur elle et la transforme. Cette action s’exerce sous nos yeux dans des races en voie de formation ; elle est et doit être plus prononcée dans les races plus anciennement constituées, et pourtant jamais dans l’espèce humaine la variation n’atteint les limites extrêmes constatées chez les plantes ou les animaux, parce que, grâce à son intelligence, l’homme se défend toujours plus ou moins contre le milieu.

Telle est la solution que la doctrine monogéniste donne du problème posé au début de ce travail. Pour y arriver, elle se borne à étudier soigneusement les faits, à les grouper, à les interpréter en vertu des lois de la physiologie générale. Est-ce à dire qu’elle fasse disparaître ainsi toutes les difficultés, qu’elle ferme la bouche à toutes les objections ? Non certes ; mais ces difficultés ont été singulièrement exagérées, ces objections sont rarement sérieuses, et il en est souvent qui ne font que dévoiler le peu de fondement des doctrines polygénistes. Notre étude serait incomplète si nous n’entrions pas ici dans quelques détails. Passons donc maintenant en revue les principaux argumens invoqués par les adversaires des idées que nous défendons.

Écartons d’abord certains reproches qui ne sont pas, à vrai dire, des objections, et qu’on est surpris de voir se reproduire constamment

  1. Je ne pouvais mieux résumer mes propres idées qu’en empruntant ce passage au livre de M. Isidore Geoffroy. On voit que dans les conclusions générales l’accord entre mon éminent confrère et moi se soutient jusque dans la forme employée pour les traduire. C’est certainement bien à l’insu l’un de l’autre que nous avons comparé l’espèce au tronc et les races aux branches d’un arbre, M. Geoffroy dans son livre et probablement dans ses leçons orales, comme moi dans mes cours.