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un système de vérités liées et croissantes. On fait la théorie de la science comme d’autres font la théorie de la végétation, de l’esprit, des nombres. Voilà l’idée de la logique, et il est clair qu’elle a, au même titre que les autres sciences, sa matière réelle, son domaine distinct, son importance visible, sa méthode propre et son avenir certain.

— Accordé.

— Mais toutes ces sciences, objet de la logique, ne sont que des amas de propositions, et toute proposition ne fait que lier ou séparer un sujet et un attribut, c’est-à-dire un nom et un autre nom, une qualité et une substance, c’est-à-dire une chose et une autre chose. Cherchons donc ce que nous entendons par une chose, ce que nous désignons par un nom, en d’autres termes ce que nous connaissons dans les objets, ce que nous lions ou séparons, ce qui est la matière de toutes nos propositions et de toutes nos sciences. Il y a un point par lequel se ressemblent toutes nos connaissances. Il y a un élément commun qui, perpétuellement répété, compose toutes nos idées. Il y a un petit cristal primitif qui, indéfiniment et diversement ajouté à lui-même, engendre la masse totale, et qui, une fois connu, nous enseigne d’avance les lois et la composition des corps complexes qu’il a formés. Or, quand nous regardons attentivement l’idée que nous nous faisons d’une chose, qu’y trouvons-nous ? Prenez d’abord les substances, c’est-à-dire les corps et les esprits[1]. Cette table est brune, longue, large et haute de trois pieds à l’œil : cela signifie qu’elle fait une petite tache dans le champ de la vision, en d’autres termes qu’elle produit une certaine sensation dans le nerf optique. Elle pèse dix livres : cela signifie qu’il faudra pour la soulever un effort moindre que pour un poids de onze livres, et plus grand que pour un poids de neuf livres, en d’autres termes qu’elle produit une certaine sensation musculaire. Elle est dure et carrée : cela signifie encore qu’étant poussée, puis parcourue par la main, elle y suscitera deux espèces distinctes de sensations musculaires. Et ainsi de suite. Quand j’examine de près ce que je sais d’elle, je trouve que je ne sais rien d’autre que les impressions qu’elle fait sur moi. Notre idée d’un corps ne comprend pas autre chose : nous ne connaissons de lui que les sensations qu’il excite en nous ; nous le déterminons par l’espèce, le nombre et l’ordre de ces sensations ; nous ne savons rien de sa nature intime, ni s’il en a une ; nous affirmons simplement qu’il est la cause inconnue de ces sensations. Quand nous disons qu’en l’absence de nos sensations il a duré, nous voulons dire simplement que, si pendant

  1. Mill, System of logic, t. Ier, p. 62.