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les pampres, souriaient à nos soldats, qui leur envoyaient des baisers ; la cloche de l’église sonna pour appeler à la première messe, et je vis notre affreux petit curé, vêtu d’habits sacerdotaux, traverser la foule, qui s’écarta respectueusement devant lui.

À sept heures, le général Türr était en selle, suivi de quelques hommes de l’escadron des guides. L’azur infini du ciel s’étendait sans nuages au-dessus de nos têtes ; les larges figuiers verdoyans jetaient leur ombre autour d’eux, et la brise de la mer tempérait les ardeurs du soleil. Notre chemin, raviné par des torrens, côtoyait la montagne et parfois descendait sur la grève ; la route était déserte : seuls, nous y soulevions la poussière. Avec son indomptable énergie, le général Türr avait forcé son mal au silence, et marchait en hâte là où le devoir l’appelait. Nous étions sortis enfin de la pesante inaction de Messine ; aspirant à toute poitrine les effluves salées qui passaient sur nous, riant, causant, nous étions dans un de ces rares momens où, l’acte et le milieu concordant juste avec la pensée, on se sent heureux de vivre.

Nous passâmes près du fortin de Torre-Cavallo, dont les portes ouvertes semblaient nous convier à entrer. Apre, dure, appuyée à des collines de roche feuilletée, la route monte et descend. Quelques soldats venus de Reggio, arrêtés par la fatigue au milieu de leur étape, dormaient couchés sur la bordure d’ombre que la montagne projette à ses pieds. Nous arrivâmes bientôt à une petite ville agitée et remuante bâtie dans un entonnoir dont elle occupe le fond et les contours ; sur un piton isolé, reliera la terre ferme par une sorte de grand viaduc, au-dessus d’une anse sablée d’un beau gravier blond, en face de la mer qu’elle surveille et menace, s’élève une forteresse formidable, qui est Scylla. Les gens du pays, nos soldats, les femmes, les enfans, y entrent par le pont-levis abaissé ; on s’y promène, on touche les canons, on ouvre les casemates, on fouille les magasins, et l’on y compte avec joie les piles de jambons que les royaux ont abandonnées. La ville est en fête et danse de joie. Quelques grandes filles cependant, sérieuses et sombres, regardent du côté de la citadelle ; les beaux grenadiers de François II ont peut-être emporté bien des jeunes cœurs dans leur fuite. Les voyageurs ont ainsi la rage de tout expliquer, et mal m’en prit d’avoir fait comme eux. « Eh ! la belle, dis-je à l’une de ces femmes dont l’œil presque menaçant indiquait la tristesse irritée, si ton amoureux est parti, sac au dos, pour retourner à Naples, console-toi, tu es faite pour en trouver d’autres ; les garibaldiens vont venir en garnison ici, et les chemises rouges valent bien les vestes bleues ! — Vous parlez comme une girouette, me répondit-elle ; mon amoureux est un bon marinier qui travaille dur et qui passe ses nuits à la mer ; ce n’était pas un de ces soldats