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forme qu’une espèce, mais ses races multipliées ont pris naissance sur tous les points du globe. Si Agassiz était dans le vrai, cette espèce, la plus exceptionnelle de toutes celles que présente la nature organisée, aurait apparu dans les régions zoologiques les plus tranchées : dans l’ancien et le nouveau continent, qui n’ont pas un seul singe commun ; dans l’Australie, qui ne possède pas même de singes ! Il est impossible d’imaginer un désaccord plus complet avec les lois les plus générales de la géographie zoologique. Le polygénisme pur de Desmoulins, Morton, etc., ou mitigé par Agassiz, est donc en contradiction avec la géographie zoologique, comme il l’est avec la zoologie proprement dite, comme il l’est avec la physiologie.

Évidemment les idées que nous combattons ont été conçues sous l’impression de certaines coïncidences qui ne pouvaient guère manquer de se produire. Les grands centres de création ont en général des milieux non moins caractéristiques que leurs faunes ou leurs flores. Il n’est pas surprenant qu’ils aient imprimé à la race humaine formée sous l’influence de ce milieu quelque chose de spécial. En ce sens, ce quelque chose est le produit d’une force locale : mais, comme on vient de le voir, il ne préjuge rien quant à l’origine. La coïncidence que présente dans certains cas la circonscription des faunes et des flores avec celle des races humaines s’explique donc tout naturellement par ces actions de milieu que l’on retrouve partout en anthropologie, et qui répugnent si fort aux polygénistes.

Les coïncidences qui ont séduit Agassiz et lui servent d’argument à peu près unique sont bien loin d’ailleurs d’être aussi générales et aussi complètes que l’a cru notre savant confrère ; Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner en zoologiste la carte et le tableau iconographiques qui accompagnent son mémoire. — Agassiz reconnaît huit centres principaux de création qu’il appelle les royaumes zoologiques. Ce sont les royaumes arctique, mongol, européen, américain, nègre, hottentot, malais, australien. Cette distribution est certainement arbitraire à certains égards ; nous l’acceptons néanmoins telle que l’auteur l’a donnée, nous plaçant ainsi exactement sur le terrain qu’il s’est fait. Or le royaume américain comprend le nouveau continent tout entier, et l’homme à peau rouge des États-Unis est pour l’auteur l’homme type de cette région ; mais l’Amérique, pour tous les zoologistes, pour tous les botanistes, forme au moins deux grands centres de création parfaitement distincts. Les naturalistes que l’étude des animaux et des plantes a conduits à admettre cette division ne songeaient certainement pas que les résultats de leurs recherches pussent un jour servir d’argumens contre une doctrine qui n’existait pas encore. Voilà donc encore une fois cette doctrine en opposition avec les résultats acquis à la science en dehors de toute controverse.

Il est vrai qu’Agassiz partage ses royaumes en provinces zoologiques