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que comprennent les intéressés. Ils n’ont aucun rapport avec la voix articulée, avec la parole, qui depuis Aristote est regardée à juste titre comme un des attributs de l’homme. À celle-ci et à l’intelligence supérieure nécessaire pour manier un pareil instrument se rattachent toutes les langues humaines, les plus parfaites comme les plus simples, car toutes ont un vocabulaire et une grammaire. L’argumentation entière d’Agassiz tombe, devant ce seul fait. Aussi n’insisterons-nous pas plus longtemps sur cet ordre d’idées. Il suffit d’avoir montré jusqu’où une doctrine qui prend pour point de départ la multiplicité des origines humaines a pu conduire un homme doué d’autant d’esprit et de jugement qu’il possède de science sérieuse.

La zoologie, la physiologie avaient démontré l’unité de l’espèce humaine ; la géographie zoologique à son tour, loin de venir en aide au polygénisme, vient de nous apprendre que l’espèce humaine n’a pu prendre naissance dans tous les centres de création, qu’elle appartient essentiellement à l’un d’eux. Par là encore l’homme rentre dans ces lois générales qui dominent tous les êtres vivans. Tous les grands centres, avons-nous vu, sont caractérisés par quelque type spécial. Les provinces zoologiques, les centres secondaires eux-mêmes ont leurs genres, leurs espèces qui leur sont propres. L’homme, ce type à part, cette espèce privilégiée entre toutes, alors même qu’on ne voit en lui que l’être physique, pouvait-il naître à la fois en tout lieu ? Non, ou bien il eût constitué une de ces exceptions uniques dont nous ne connaissons pas encore d’exemple. Voilà pourquoi, après avoir dit : « Tous les hommes ne forment qu’une seule espèce, » nous pouvons ajouter : « Cette espèce est originaire d’une seule contrée du globe, et probablement cette contrée est proportionnellement assez peu étendue. » Où est placé ce coin de terre d’où est sorti l’être qui devait asservir toutes les autres créatures et contraindre à le servir jusqu’aux forces brutales qui régissent la matière inanimée ? Ce n’est pas ici le lieu d’examiner en détail cette question. Bornons-nous à répondre que tout indique l’Asie centrale comme ayant été le premier berceau de l’homme, comme le point d’où, rayonnant en tout sens, les tribus humaines sont parties pour aller peupler les solitudes les plus lointaines.

Cette conclusion, rigoureusement déduite de faits et de lois exclusivement scientifiques, n’en a pas moins été vivement attaquée par les polygénistes. Ils ont nié la possibilité de ces migrations ; ils ont parlé des marais et des montagnes, des forêts et des déserts comme ayant dû opposer des obstacles insurmontables à la marche, à l’expansion des premiers hommes. Franchement cette objection nous a toujours surpris. Qu’il marche en troupe ou qu’il soit isolé, tant qu’il est sur la terre ferme, ce n’est pas la nature que l’homme